Deux sœurs, très présentes sur les réseaux sociaux, ont été condamnées ce 13 septembre à Valenciennes (Nord) à de la prison ferme et du sursis pour des centaines d'injections illégales de toxine botulique (Botox) et d'acide hyaluronique.
L'aînée, une esthéticienne de 25 ans qui se présentait comme « Dr Lougayne » sur les réseaux sociaux, a été condamnée à quatre ans de prison dont trois avec sursis pour « mise en danger d'autrui » ou encore « exercice illégal de la profession de médecin ».
Le tribunal correctionnel a demandé son maintien en détention, estimant qu'il n'y avait « pas assez de réflexion par rapport à la gravité des faits ». Sa cadette de 22 ans, qui a reconnu l'avoir assistée, a quant à elle été condamnée à deux ans de prison avec sursis. Le tribunal a suivi les réquisitions du parquet, qui avait comparé les injections à un « trafic de stupéfiant ».
L'avocat de la défense, Me Julien Bensoussan, soulignant que sa cliente avait reconnu les faits et compris leur gravité, a dénoncé une décision « scandaleuse », indiquant réfléchir « sérieusement » à un appel.
Le tribunal avait listé à l'audience les séquelles présentées par certaines des 30 parties civiles : abcès au menton nécessitant une opération d'urgence, éruption cutanée sévère, bouche partiellement paralysée, paupières tombantes, boules ou taches sur les lèvres.
Une offre croissante d'actes illégaux
La demande croissante en actes esthétiques s'accompagne du développement d'une offre « low cost » voire illégale, dont le Quotidien s'était fait l'écho. Les praticiens ont déjà alerté les pouvoirs publics sur le phénomène, demandant un encadrement plus strict.
Le ministère de la Santé assure travailler à un décret visant à « restreindre l'accès aux produits à base d'acide hyaluronique injectables aux seuls professionnels de santé autorisés à les administrer et aux personnes munies d'une prescription médicale », est-il indiqué sur le site du Sénat. Dans l'attente de la publication, l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) rappelle dans un communiqué que les injections réalisées par des non-médecins sont « dangereuses et interdites » et que « seuls les médecins peuvent les réaliser ».
Effets indésirables sévères
Cheveux noirs sagement tirés en arrière et lèvres gonflées à l'acide hyaluronique, les deux sœurs ont assuré avoir voulu « embellir » leurs clientes, reconnaissant les injections, mais pas les effets indésirables sévères.
« J'avais l'impression de ressembler à un lépreux », raconte à l'audience le seul homme parmi les plaignants, un quinquagénaire qui s'est fait injecter du Botox. « Je ne pouvais pas toucher mon visage tellement c'était douloureux. Aujourd'hui, j'ai toujours du mal à maintenir mes paupières ouvertes suite aux injections, poursuit-il. Je vais devoir être opéré. » Un cas qui n'est malheureusement pas isolé, les chirurgiens esthétiques étant de plus en plus sollicités pour réparer les ratés d'actes non professionnels.
Selma, 24 ans, dit avoir contacté « Dr Lougayne » après qu'un candidat de téléréalité « a assisté à une session d'injections avec elle ». « Maintenant j'ai des taches brunes sur les lèvres, je suis complexée, regrette la jeune fille, qui ne souhaite pas donner son nom. J'ai été bête, j'ai fait confiance. »
Mode sur les réseaux sociaux
Soulignant un « problème de santé publique », l'avocate du Syndicat national de chirurgie plastique et reconstructrice et esthétique (SNCPRE), Laetitia Fayon, a souligné que dans la « chasse aux fake injectors, les victimes sont trop peu présentes », par « honte » ou par « peur ». Les gendarmes, qui ont identifié et contacté eux-mêmes certaines victimes, décomptent au moins 600 clients entre janvier 2021 et juillet 2023.
« Vous saviez que ce n'était pas légal ? », tance la présidente. « Oui », répond avec aplomb la principale mise en cause. « C'était une mode sur les réseaux sociaux et j'étais intéressée par embellir la femme, c'était ma passion, se justifie-t-elle. Je ne mesurais pas la gravité de la chose ».
Diplômée d'un CAP esthétique en 2020, elle propose des injections dès 2021, et assure avoir suivi quatre formations, l'une en Belgique, et d'autres avec des formatrices russes ou ukrainiennes.
« Cosmétologue » en blouse blanche
À partir de 2022, elle se fait appeler « Dr Lougayne », et se présente comme « cosmétologue », arborant une blouse blanche à son nom - bien que de l'aveu même de son avocat « elle ressemble plus à Kim Kardashian qu'à un médecin ». « Les clients savaient que je n'étais pas médecin, assure-t-elle. Aucun médecin ne fait des injections à 200 euros. »
Forte de ses 50 000 abonnés sur les réseaux sociaux, son activité s'accélère, et des sessions d'injection sont organisées dans des salons de coiffure, d'esthétique, voire à domicile dans les Hauts-de-France et en région parisienne.
Mais en mars 2023, la gendarmerie de Villeneuve-d'Ascq (Nord) se penche sur les profils SnapChat et Instagram du « Dr Lougayne », particulièrement actifs, et identifie leur propriétaire.
Le 14 mai, lors d'une session à Valenciennes, les gendarmes interpellent les deux sœurs. À leur domicile, ils saisissent une centaine de seringues, ainsi que des fioles d'acide hyaluronique et de botox venues notamment de Russie ou de Corée, ainsi que 14 000 euros en liquide, des articles de luxe et deux grosses cylindrées. Les enquêteurs estiment que leur activité a rapporté au moins 120 000 euros en moins de trois ans.
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