Est-ce qu’un médecin a légalement le droit de refuser un patient non-vacciné ?
Maître Barbara Bertholet : En réalité, il n'existe aucun texte relatif aux patients vaccinés ou non-vaccinés. Il y a toutefois des textes sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Dans l'article R 4 127-47 du Code de la santé publique, il est indiqué que le médecin a, par principe, le droit de refuser des soins sauf pour les cas qui relèvent de l'urgence. Si la prise en charge d'un patient relève d'un besoin vital, le médecin ne pourra évidemment pas le refuser. Hormis cette exception, le médecin peut refuser la prise en charge d'un patient soit pour des raisons d'ordre professionnel ou personnel. À titre d'exemple, un médecin pourra refuser des soins pour des raisons personnelles, si son patient a un comportement agressif. Autre cas, un médecin pourra invoquer un refus de soin pour des raisons professionnelles si sa patientèle est déjà trop importante ou s'il donne une orientation particulière à son activité. Si ce dernier pratique l'homéopathie, il est en droit de ne pas accepter des patients pour d'autres traitements. Toutefois, l'article 225-1 du Code pénal définit l'interdiction de discrimination. Cette interdiction est reprise dans le Code de la santé publique qui définit le refus de soins pour motifs discriminatoires. Il est ainsi écrit que le médecin doit apporter son concours en toutes circonstances, avec la même conscience, à toutes les personnes, quelle que soit leur situation. Le texte détaille par ailleurs les différents cas de discriminations.
Refuser un patient non-vacciné serait donc considéré comme un motif discriminatoire ?
Me B.B. : Bien évidemment, ce cas spécifique relatif au statut vaccinal n'est pas précisé dans les textes. Toutefois, à mon sens, évoquer cette raison de façon brute et sans autre justification pourrait être considéré comme discriminatoire dans la mesure où la vaccination n'est pas obligatoire. Il y a déjà eu, par le passé, des rappels à la loi et des décisions du Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) pour des refus de soins concernant des patients bénéficiaires de la couverte maladie universelle (CMU).
À quoi s'exposent les médecins qui refuseraient de prendre en charge des patients non-vaccinés ?
Me B.B. : S'il y a une expression claire d'un refus de soins de la part d'un médecin en raison du défaut de vaccination de son patient, le médecin s'expose à des sanctions. Des sanctions à la fois déontologiques car les médecins sont soumis à des règles de ce type. La section disciplinaire du Conseil de l'ordre des médecins peut en effet émettre des avertissements ou même décider d'une suspension temporaire du médecin. Il peut y avoir également des sanctions pénales. Le Code pénal considère la discrimination comme un délit et c'est très lourdement réprimable. Selon le texte, cela peut aller en théorie jusqu'à 45 000 euros d'amende et jusqu'à trois ans d'emprisonnement. Toutefois, dans le cas très précis d'un médecin qui refuserait la prise en charge d'un patient non-vacciné, sauf si c'est vexatoire et réitéré, cela se règlerait très probablement au niveau du Conseil de discipline de l'Ordre des médecins. En revanche, il est tout à fait envisageable que des personnes non-vaccinées saisissent le Défenseur des droits ou encore des associations qui pourraient porter directement l'affaire au pénal.
Récemment, Martin Hirsch a évoqué une possible évolution du principe de gratuité des soins pour les personnes non-vaccinées. Quelle question cela pose en termes juridiques ?
Me B.B. : Une telle remise en cause du principe de libre accès aux soins impliquerait nécessairement une modification de la législation actuellement en vigueur. C’est une question juridique certes, mais également une question de société de nature à faire débat. Sur le plan juridique, la mise en place d’une différence de traitement entre patients vaccinés et non-vaccinés devrait être conforme à la Constitution et au principe d'égalité. Comment justifier une telle différence de traitement ? La non-vaccination est-elle de nature à justifier cette rupture d’égalité ? Autant de questions qui feraient l’objet d’un examen approfondi par le Conseil Constitutionnel s’il était saisi…
La position de l'Ordre
Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l'Ordre national des médecins : « Bien évidemment, il n'est en aucun cas tolérable d'avoir une attitude discriminatoire dans les soins en fonction du statut vaccinal d'un patient. Un médecin ne peut pas refuser de prodiguer des soins sous prétexte que son patient n'est pas vacciné. Une fois ce constat posé, il faut évidemment apprécier les situations au cas par cas. Est-ce un refus de la part du médecin de toute prise en charge de soins ? Ou est-ce une adaptation des soins dans ses modalités de consultation (proposition de téléconsultation, adaptation des horaires etc.) (...)Toujours est-il que s'il y a une plainte d'un patient à l'encontre d'un médecin en raison d'un refus de prise en charge, il est évident que le médecin aura à s'expliquer. Toutefois, nous n'avons pas encore de rapport d'activité et de matière pour savoir quelle jurisprudence s'applique dans ce type de situation. Dans l'absolue, quelles que soient les fautes déontologiques, les peines peuvent aller de la relaxe à la radiation. En sachant que la chambre disciplinaire de l’ordre ne juge pas in abstracto mais in concerto c’est-à-dire qu’elle apprécie, à chaque fois, les spécificités des dossiers et des plaintes. »
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