Ce sont pas moins de neuf spécialités libérales que l’URPS médecins libéraux (URPS-ML) Grand Est a auscultées pour mesurer les délais de rendez-vous. Une étude* inédite à laquelle ont répondu plus de 2 100 médecins cardiologues, dermatologues, hépato-gastro-entérologues, chirurgiens orthopédistes, ORL, pédiatres, gynécologues obstétriciens, psychiatres et rhumatologues.
Cette enquête, fondée sur des appels mystères, a pris en compte les délais observés tant par téléphone que sur les plateformes de rendez-vous en ligne – les enquêteurs se présentant comme de nouveaux patients. Deux scénarios ont été testés par téléphone : l’un avec un motif non urgent, l’autre avec une demande semi-urgente. Une approche qui a permis d'évaluer les délais d'attente en fonction de la spécialité, du lieu d'exercice, du secteur conventionnel et du mode d'exercice solo ou en groupe. En ligne, seul le scénario non urgent a été testé.
Disparités territoriales significatives
L’étude met en évidence des disparités très significatives selon les spécialités et les territoires. La cardiologie, la dermatologie, l’hépato-gastro-entérologie, l’ORL et la rhumatologie souffrent de délais médians supérieurs à deux mois, voire trois mois (pour les trois premières). Pour ces disciplines, « le taux d'obtention de rendez-vous est également faible et témoigne d'une forte demande non satisfaite », observent les auteurs citant la psychiatrie, pour qui moins de 20 % de demandes aboutissent à un rendez-vous.
Viennent ensuite les spécialités à délais moyens (gynécologie et pédiatrie) qui présentent des délais médians inférieurs à 50 jours mais avec des taux d'obtention de rendez-vous autour de 50 %. A contrario, la chirurgie orthopédique fait figure de meilleure élève avec des délais plus courts et un taux d’obtention élevé (88 %).

Réalité contre-intuitive
Fait surprenant, l’analyse des résultats « montre qu’il n’y a pas de corrélation directe entre la densité des spécialistes et la durée des délais d’attente ». Cette réalité contre-intuitive est illustrée par la Haute Marne qui présente la plus faible densité de cardiologues, dermatologues et psychiatres, « et qui pourtant affiche les délais les plus courts par téléphone dans ces spécialités ».
À l’inverse, des départements avec un CHU ont souvent des délais plus élevés que la médiane de la région. Pour l’ensemble des spécialités (hormis la gastro-entérologie), on constate une absence de corrélation entre densité importante et délais courts. Il n’est pas rare que les principales agglomérations affichent des délais de RDV supérieurs à la médiane du département. Ainsi, il faut au moins quatre mois pour obtenir une consultation ORL à Nancy, Metz et Troyes alors qu’à Thionville et Colmar, le délai est de moins de deux mois, voire moins d’un mois à Vitry-le-François…
Relève libérale en marche
Les départs massifs en retraite dans la profession expliquent en partie cette situation. « Il y a une diminution significative du nombre de médecins spécialistes libéraux (…) depuis le début des années 2010, avec en plus un déficit par rapport à la moyenne nationale », contextualise l’Union.
En conséquence, les confrères restant ont souvent répondu par une suractivité, entraînant une charge de travail élevée. Le pire est-il passé ? Peut-être : « Les jeunes médecins s'installent en nombre croissant depuis 10 ans et l'exercice libéral reste attractif, puisque le taux d'installation en libéral oscille entre 70 et 80 %, dix ans après l'obtention du diplôme », observe l’URPS, ce que confirme une étude de la Drees (ministère) réalisée en 2023. Ces projections démographiques des spécialistes « offrent une perspective positive avec une augmentation continue pendant plusieurs décennies et un rajeunissement progressif de la profession », se réjouit l’Union Grand Est.

Pour autant, le collège spécialiste de l’URPS ML ne reste pas les bras ballants. En attendant la relève, il formule ses propositions pour améliorer les délais : cabinets de groupe, disponibilité horaire, secrétariat et travail aidé, sites secondaires…
L’instance met en avant plusieurs axes à développer « pour ces prochaines années », en commençant par l’augmentation du « temps de médecin spécialiste », via la généralisation des stages en libéral pour les internes et le renforcement de l’attractivité du cumul emploi retraite. L’embauche accrue d’assistants médicaux et d’infirmiers en pratique avancée fait également partie des pistes. Autre piste : « le déploiement rapide des équipes de soins spécialisés » (ESS) ainsi que l’amélioration de la coordination interpro.
L’Union insiste aussi sur les irritants et repoussoirs. Comme le fait de « favoriser la financiarisation de la médecine de ville ». Les exemples des centres dentaires et ophtalmos montrent que leur régulation est très difficile, développe l’URPS. Pire, essayer de réguler l’installation des spécialistes libéraux serait contre-productif. « Gardons-nous d’introduire des nouveautés réglementaires ou législatives pseudo-innovantes », met en garde le Dr Thierry Bour, coauteur de l’étude.
Méthode des appels mystères : l’enquêteur (Institut CSA) incarne un nouveau patient adulte qui souhaite obtenir un RDV auprès du secrétariat médical d’un spécialiste donné. 11 enquêteurs, 5 semaines de terrain (mars–avril 2024). L’enquête en ligne a le même objectif que l’enquête téléphonique. Délais recueillis auprès de 2 143 médecins spécialistes
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