Les dispositifs de simulation promettant de placer les professionnels de santé dans la peau de leurs patients se multiplient. Jusqu’où, alors, faut-il aller pour mieux comprendre l’autre et améliorer sa prise en charge ?
Enfiler une combinaison, chausser des lunettes de réalité augmentée ou porter des écouteurs à ses oreilles et, ainsi, expérimenter les effets de l’obésité, de troubles ophtalmologiques ou d’hallucinations auditives… Autrement dit, se mettre à la place des patients au point de vivre leurs symptômes. Telle est la promesse des simulateurs, qui se multiplient et commencent à s’inviter dans la formation initiale ou continue des professionnels de santé. Mais reste à savoir si aller jusque-là permet d’améliorer les soins.
La littérature suggère que la capacité à se mettre à la place des patients impacte la qualité des prises en charge. Ou, plutôt, que l’adoption d’une posture empathique, qui comprend l’aptitude à accéder au point de vue de l’autre – tout en gardant sa propre position –, est corrélée à une amélioration de la satisfaction des patients, de l’observance, des diagnostics et résultats cliniques, etc.
Problème : le corps médical est pointé pour son manque d’empathie – qui s’installerait dès les études, déplore le Dr Louis-Baptiste Jaunay, généraliste à Montreuil, chef de clinique de médecine générale à l’université Paris-Cité et chercheur en sciences de l’éducation. D’où des initiatives visant à favoriser l’empathie des médecins. Et ce, en les amenant à la place des patients.
Accéder à l’invisible
Pour ce faire, en effet, des dispositifs de simulation de maladies émergent. Si leur utilisation demeure balbutiante, pour certains, « des études qualitatives montrent un intérêt des apprenants, qui affirment mieux comprendre les maladies (ciblées) et leur impact sur le mode de vie des patients », rapporte le Dr François Revaux, urgentiste, responsable médical du centre de formation CESU 94 et coresponsable du centre de simulation de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP) et de la faculté de Santé Paris-Est-Créteil. Mentionnons, par exemple, des combinaisons corporelles reproduisant des effets du vieillissement, ou encore des pailles et ballons inducteurs de dyspnée – récemment évalués dans l’étude DiscoDys.
Le recours à ces simulateurs pourrait s’avérer très pertinent pour des symptômes « non universels », et donc fréquemment « sous-évalués, sous-estimés, sous-traités », à l’instar de la dyspnée persistante, estime la Dr Laure Serresse, MCU-PH de médecine palliative, chef de service des équipes de soins palliatifs, d’accompagnement et de soins de support de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et investigatrice de l’étude DiscoDys. Ces outils semblent toutefois moins indiqués vis-à-vis de symptômes universels. « Chacun sait déjà reconnaître le visage de la douleur, et ce que la douleur représente – ce qui n’est pas le cas avec la dyspnée », illustre-t-elle. Et pour des raisons éthiques évidentes, tous les troubles ne peuvent être reproduits.
À noter, une façon de contourner cet obstacle : simuler seulement l’impact de maladies sur le quotidien. Par exemple, le programme In Their Shoes, de Takeda, présenté comme une « expérience immersive de 24 heures » dans la peau d’une personne atteinte de MICI, propose de relever en vie réelle des « défis » (abandonner toute activité à la recherche de toilettes, éviter certains aliments, etc.) lancés via une application mobile.
Quoi qu’il en soit, l’un des risques est de susciter non de l’empathie mais de la sympathie ou de la compassion. Or, insiste la Dr Racha Onaisi, chef de clinique de médecine générale à l’université de Bordeaux, enseignante-chercheuse en pédagogie des sciences de la santé et membre du bureau du Collège national des généralistes enseignants, « projeter son propre ressenti » peut altérer la relation. Voire, ajoute la Dr Serresse, aboutir chez les médecins à des comportements d’évitement – signe de détresse empathique. Aussi, ces approches sont à encadrer dans des formations non obligatoires, incluant, entre autres, un « débriefing, indispensable pour mettre du sens, comme dans toute simulation », souligne le Dr Revaux.
Jeux de rôle
En outre, ces dispositifs ne permettent pas en eux-mêmes d’appréhender la position des patients face aux soignants, contrairement à d’autres méthodes éprouvées – aux effets bien démontrés sur l’empathie des professionnels de santé.
À ce titre, le Dr Revaux évoque des jeux de rôle pendant lesquels des apprenants peuvent incarner soit leur rôle de soignant, soit celui du patient ou sa famille, ce qui permet alors « de prendre conscience du caractère inapproprié de certains mots, inconfortable de certains gestes, etc. ». De même, certains gestes et consultations (d’annonce, notamment) peuvent être joués sur des patients simulés – acteurs ou réels malades se prêtant à l’exercice – ensuite invités à partager leur ressenti.
Car finalement, une approche simple consiste à interroger les patients, avec un accès potentiel à un vécu plus global. Ainsi, observe Julie Chastang, généraliste à Champigny-sur-Marne, MCU à la Sorbonne-Université et vice-présidente du Collège de la médecine générale, des patients experts commencent à être sollicités dans les facultés, et les échanges autour de récits de patients relevant de la médecine narrative suscitent un certain engouement. Deux approches qui ont aussi prouvé leur effet inducteur d’empathie.
L’empathie à l’épreuve du quotidien
Au total, pour comprendre les patients, toutes ces initiatives apparaissent complémentaires et peuvent être utilisées alternativement ou simultanément – une combinaison de vieillissement pouvant être portée pendant un jeu de rôle. Néanmoins, la question de leur impact sur les pratiques et la santé des malades reste en suspens. « Conclure qu’un dispositif pédagogique a, à lui seul, amélioré la prise en charge est délicat du fait de nombreux biais », relève le Dr Revaux.
Des études suggérant que la perception par les patients de l’empathie du médecin est déterminante, les potentiels progrès empathiques permis par toutes ces initiatives pourraient n’avoir d’intérêt sans compétences de communication – de plus en plus enseignées, note le Dr Jaunay.
Et reste à déterminer jusqu’où montrer aux patients cette capacité à saisir leur situation. « Certains pourraient s’avérer choqués qu’on puisse imaginer comprendre ce qu’ils vivent réellement », entrevoit le Dr Jaunay. D’où l’intérêt d’explorer la perspective des malades – par exemple au moyen d’entretiens d’explicitations, étudiés par le généraliste.
Par ailleurs, s’exercer à se mettre à la place des malades peut apparaître peu opportun si le quotidien ne permet pas de s’y appliquer. « Après vingt consultations complexes, notre degré d’empathie s’abîme forcément », déplore la Dr Chastang. D’autant que la résolution de certaines difficultés quotidiennes des malades mises en exergue par des simulations ne relève pas de la médecine mais de l’adaptation de la société au handicap.
Enfin, aucun simulateur ne cible la distance socioculturelle entre nombre de médecins et leurs patients, pourtant génératrice d’incompréhensions.