Médecins, autres soignants, patients et population générale ne présentent pas les mêmes traits de personnalité. Le choix professionnel défini en fin d’adolescence et la sélection académique - qui ne prend pas en compte les compétences non cognitives - ont joué depuis 50 ans un rôle particulier faisant des médecins, quelle que soit leur spécialité, des « techniciens du soin ». L’étude menée par Mehdi Ammi et al. à partir de deux enquêtes australiennes illustre le fossé en termes de traits de caractère entre praticiens et patients qui, s’il n’est pas pris en compte, impacte la qualité des soins et l’efficacité des interventions par le biais de la relation médecins-patients.
Dans un premier temps, les chercheurs ont procédé à une analyse de personnalité à partir de deux registres de population australiens incluant 23 359 individus en population générale (dont 18 705 ayant recours à des soins réguliers dits « patients », 1 261 personnes ayant un niveau d’éducation très supérieure et 5 841 soignants), ils ont été comparés à 19 351 médecins représentatifs des praticiens australiens (5 844 généralistes, 1 776 médecins à spécialité non technique et 3 245 à spécialité technique). Les auteurs ont utilisé des tests visant à préciser le « Locus de contrôle » (manière dont une personne perçoit les causes de ses succès et de ses échecs) et des évaluations “Big Five”, un modèle descriptif de la personnalité en cinq traits : ouverture d’esprit (créativité, émotion, etc.), conscienciosité (autodiscipline, organisation), extraversion, amabilité (empathie, gentillesse, chaleur, etc.) et névroses (susceptibilité, agitation, etc.).
Les médecins plus névrosés que la population générale
Résultat sans surprise : les médecins sont globalement plus aimables, plus consciencieux, plus extravertis et plus névrosés que la population générale et que les patients. Les médecins ont un « locus de contrôle » significativement plus important (0,06, 0,00 à 0,13) que la population générale (−0,10, – 0,13 à −0,06) mais cette valeur ne diffère pas statistiquement de celle des patients (−0,04, – 0,11 à 0,03).
Une analyse plus approfondie par sexe montre que ces résultats sont en très grande partie motivés par la sous-catégorie des femmes médecins, qui semblent différer plus fortement des autres groupes de population que les hommes. Ceci est particulièrement visible pour la composante névrose en comparaison avec la population générale.
Prendre en compte la différence entre la personnalité du patient et la sienne
Que faire de ces données ? Pour les auteurs, non seulement comprendre la personnalité d'un patient est important dans la pratique clinique, mais aussi connaître la différence entre la personnalité de ce patient et sa propre personnalité peut être utile car ces différences peuvent affecter le succès du traitement. Par exemple, être plus consciencieux a des implications sur l'observance du traitement : de ce fait, les médecins qui sont particulièrement consciencieux peuvent surestimer la capacité de leurs patients à suivre les recommandations. Autre point, la tendance à la névrose peut laisser penser aux médecins que le stress fait partie de la vie de tous et, de ce fait, ils peuvent sous-estimer l'impact du stress sur le bien-être des patients. Enfin, l'amabilité habituelle des médecins peut aussi les inciter à considérer les patients comme plus conflictuels qu’ils ne le sont réellement.
Les auteurs estiment que ces résultats peuvent aider à sensibiliser les médecins aux différences de personnalité existantes entre eux et leurs patients. En tenant compte de ces différences, les médecins peuvent mieux calibrer leurs jugements sur les patients et mieux comprendre les facteurs qui influencent leurs interactions avec eux. Ils ajoutent que multiplier les personnalités intervenant avec les patients pourrait améliorer les performances de l'équipe clinique. « Néanmoins, le manque de différence de personnalité entre les médecins des différentes spécialités que nous avons constaté suggère que l'ajout de plusieurs médecins à une équipe pourrait être doté d’un effet minime voire nul. Cependant, les différences constatées entre les médecins et ceux d'autres professions soignantes suggèrent que l'inclusion de professionnels soignants non-médecins dans les équipes cliniques augmentera la diversité de la personnalité, et donc la performance de l'équipe ».
Does doctors’ personality differ from those of patients, the highly educated and other caring professions? An observational study using two nationally representative Australian surveys. Ammi M, et al. BMJ Open 2023;13:e069850. doi:10.1136/bmjopen-2022-069850
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