Produire et partager des savoirs en santé, s’informer pour mieux orienter sa prise en charge, distinguer les expériences singulières et banales : les apports des communautés en ligne affirment la prise de pouvoir des patients dans le domaine médical.
Les réseaux sociaux ont été une formidable caisse de résonance pour les usagers et leur ont permis de faire entendre leur voix lors du récent épisode du Levothyrox. « Les individus deviennent acteurs de leur santé. Ils sont beaucoup plus impliqués », estime Olivia Gross, chercheuse et docteure en sciences de l’éducation et en santé publique au Laboratoire éducations et pratiques de santé (LEPS) de l’université Paris XIII. L’auteure de « L’engagement des patients au service du système de santé »* estime que l’on assiste à « un empowerment des usagers, c’est à dire un pouvoir d’agir accru ».
Carole Deccache, psychologue à la clinique du Château de Vernhes (Haute-Garonne) et doctorante au LEPS, n’hésite pas non plus à parler d’une « prise de pouvoir des patients sur leur santé ». « Avec les forums, les mécanismes des associations de patients sont facilités », poursuit-elle. « Internet est un outil vertueux, confirme Olivia Gross. Les malades peuvent lire les témoignages de personnes étant déjà passées par ce qu’ils ont vécu. Cela permet d’avoir du soutien, de distinguer le singulier du plus fréquent », explique-t-elle. Dans l’affaire du Levothyrox, les réseaux sociaux et les pétitions ont ainsi permis aux personnes de prendre la mesure de leur propre influence, observe Olivia Gross.
Les réseaux sociaux ont aussi aidé des patients à « produire des connaissances ». Olivia Gross cite ainsi l’exemple de « communautés virtuelles de malades organisés qui produisent des enquêtes, des savoirs » et qui, pour certaines, « ont fait l’objet d’études publiées et présentées en congrès ».
Une culture Trip Advisor
Les réseaux sociaux facilitent également une meilleure orientation des patients, affirme Olivia Gross. Une étude américaine s’est intéressée au choix de l’établissement de soins de patients atteints d’un cancer. « Ceux qui étaient suivis dans un centre de référence étaient 42 % à être allés sur Internet pour s’informer. Ceux qui étaient traités à l’hôpital du coin étaient 5 % à l’avoir fait. »
La chercheuse pense également aux sites de notation de médecins tels que “Notetondoc”, courants aux États-Unis mais encore rares en France. « Si vous achetez une voiture, vous demandez conseil à celui qui a acheté la même. La santé ne va pas déroger à cette culture Trip Advisor. Les avis sur les médecins sont globalement positifs », assure-t-elle.
Pas une contre-expertise
La situation est pourtant vécue comme un problème : la moitié des patients qui s’informent sur les réseaux sociaux n’osent pas le dire à leur médecin, selon Olivia Gross. « Ils savent très bien que ça va le faire bondir ! affirme-t-elle. À la seconde où leur utilisation sera prise en compte, la relation médecin-patient sera plus riche et intéressante. Il y aura d’autres types de questions, des patients mieux éduqués et plus libres de leur parole. »
D’autant que, selon la chercheuse, les patients ne cherchent pas une contre-expertise au savoir médical. « Ils veulent des informations complémentaires, pour préparer une consultation, chercher du soutien… Le CNOM préconise aux médecins de dire à leurs patients d’aller sur des communautés virtuelles », remarque-t-elle d’ailleurs.
Cyber-pharmacovigilance et big data
Les réseaux sociaux sont-il un outil fiable en matière de pharmacovigilance ? Compte tenu du volume des données en ligne, « le partage des expériences pourrait constituer une source d'information complémentaire intéressante sur les effets indésirables des médicaments ou générer des signaux », écrivent H Bagheri et al. (dans la Revue Thérapeutique). D’ores et déjà, « l’analyse des réseaux sociaux dans cette optique est un axe de recherche important », témoigne le Pr Antoine Pariente (responsable du CRPV de Bordeaux). Et si pour le moment, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances (des chercheurs américains ont conclu que l'analyse des tweets n'était pas plus efficace que les méthodes classiques de pharmacovigilance), le développement de méthodologies adaptées devrait permettre à terme de mieux exploiter ces données et de pouvoir s'en servir en « phase de décision », espère le Pr Pariente.B.G.
* Éditions Doin, paru le 30 novembre 2017, 26 €
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