C’est un propos qui était passé un peu inaperçu. En déplacement le 27 janvier 2025 dans une maison de santé des Hauts-de-Seine, à l’occasion du cadrage de la quatrième année d’internat de médecine générale, le ministre de la Santé Yannick Neuder a dit vouloir relancer les visites à domicile, ce qui permettrait de libérer de l’espace dans les cabinets libéraux habilités comme terrains de stage.
Le locataire de Ségur entendait rassurer les internes de médecine générale, très inquiets des conditions d’accueil et d’encadrement dans les futurs terrains de stage en ville l’an prochain. Une partie d’entre eux étaient d’ailleurs en grève le 29 janvier pour réclamer le report de la réforme de la 4e année, dénonçant une réforme bâclée et mal anticipée au regard de l’énorme défi humain et logistique (y aura-t-il assez de terrains de stage en ville, assez de généralistes maîtres de stages ?)
Le ministre, cardiologue hospitalier, a assumé son idée consistant en quelque sorte à libérer de la place grâce à davantage de visites à domicile. « Je ne veux pas résumer cette réforme (de la quatrième année) seulement à des problématiques bâtimentaires, a-t-il avancé. Mais je pense qu'on peut trouver une autre façon de concevoir les choses ! Je vais poser une petite bombe (...) Je sais que c'est lourd mais on peut remettre en place les visites à domicile qui libèrent le cabinet, développer l'aller-vers auprès de toutes les personnes qui ne peuvent pas se déplacer (...) On a beaucoup de territoires où nous n'avons plus de visites à domicile, donc si on peut relancer cette notion de visite ça serait intéressant. » Et de préciser qu’il reverrait le dossier des visites avec la Cnam « pour que ce soit valorisé ».
Notre ministre plane
Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général de MG France
Cette déclaration, consistant à faire le lien entre la relance des visites et l’accueil de milliers d’internes, a fait bondir certains syndicats de médecins libéraux. MG France juge cette idée « démagogique ». « Notre ministre plane, tacle le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat. Oui, il faudra trouver des locaux pour accueillir les docteurs juniors et cela ne sera pas simple. Mais nous n’allons pas faire de visites qui ne se justifient pas. »
Même si ses propos restent à clarifier, le ministre a en tout cas remis en débat le sujet des visites courantes, laissé en jachère. Peu valorisée depuis deux décennies et de plus en plus chronophage, la visite à domicile s’est raréfiée au fil des années. Et le mouvement ne fait que s’amplifier. Une enquête de l’URPS Île-de-France de septembre 2024 (auprès de 974 généralistes et gériatres libéraux franciliens) a démontré que la revalorisation des visites à domicile était urgente, au risque de voir une partie importante de médecins libéraux arrêter définitivement de se déplacer. Pour 96 % des médecins répondants, cette mission n’est pas correctement rémunérée. Et en ce sens, 37 % des médecins traitants installés en cabinet « envisagent d'arrêter de faire des visites à domicile dans un avenir proche », pouvait-on lire dans cette enquête francilienne.
Dans ce contexte, l’idée de relancer les visites n’est pas rejetée par le SML, à condition que cette activité soit bel et bien « valorisée pour tous les médecins et pas seulement les médecins traitants », souligne la Dr Sophie Bauer, présidente du syndicat. Depuis le 22 décembre, la visite à domicile classique du généraliste (VG) est facturée 30 euros comme la consultation de référence – seule la consultation très complexe à domicile dans certaines indications étant tarifée à 60 euros (plus 10 euros de majoration de déplacement – MD).
Chronophage
Mais cette tarification de la visite est souvent jugée très peu attractive alors que cet acte exigeant, qui suppose une réorganisation de l’agenda, s’accompagne parfois de vraies difficultés en matière de sécurité ou de stationnement. Le Dr Luc Duquesnel, président de la branche généraliste de la CSMF, reconnaît que les confrères font moins de visites car « c’est chronophage ». Mais « l’immense majorité des médecins continuent à suivre leurs patients âgés en ALD, à domicile ou en Ehpad », recadre le généraliste de Mayenne.
Côté patients, la problématique du déplacement est également associée à des enjeux locaux de transports et d’aménagement du territoire. « C’est aux collectivités locales de se saisir de cette question pour trouver des solutions comme des navettes ou des bus, insiste le Dr Duquesnel. L’objectif pour les médecins est de prendre en charge davantage de patients dans leurs cabinets avec l’aide des assistants médicaux, et non pas de leur demander de passer leur temps dans une voiture pour les visites ! »
Interrogé par Le Quotidien, le Dr Jean-Christophe Masseron, ancien président de SOS médecins, dit comprendre la volonté du ministre de relancer les visites pour le maintien des personnes âgées à domicile. « Mais fixer cet objectif en évoquant les docteurs juniors, cela pose la question de l’autonomie de ces jeunes », glisse-t-il. Le combat de SOS médecins consiste plutôt à valoriser l’ensemble des visites de soins aigus, qui seraient cotées comme des visites longues à 70 euros. Seule façon pour l’association de « ressusciter » la visite à domicile dans les territoires.
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