LE QUOTIDIEN : Dans son discours de politique générale, François Bayrou a annoncé une hausse de l’Ondam (objectif national de dépenses maladie) mais en mentionnant uniquement l’hôpital… Vous êtes déçue ?
Dr AGNÈS GIANNOTTI : Effectivement, cette annonce semble ne concerner que l’hôpital, je le regrette. Cela dit, une augmentation des moyens vaut mieux qu’une diminution. La santé est en difficulté à tous les niveaux, sur tous les plans et dans tous les secteurs !
Je retiens quand même que le Premier ministre a renoncé à la hausse du ticket modérateur. À MG France, nous défendons le remboursement à 100 % des consultations chez le médecin traitant. C’est donc mieux que rien. Je ne sais pas combien de temps ce gouvernement perdurera, mais ce signal n’est pas négligeable. Et en ce qui concerne la médecine de ville, c’est l’accord conventionnel qui fera vivre les évolutions pour la profession. Notre objectif est d’obtenir des avancées au fil de l’eau.
Sur quels volets prioritaires ?
Nous devons avancer pour faire reconnaître la consultation longue du médecin généraliste traitant, qui fait partie de notre spécificité. Ce que nous avons obtenu dans la convention est riquiqui. Pourtant, cet acte est important pour valoriser la prise en charge des patients multimorbides, ceux qui cumulent des maladies, mais aussi des problématiques psychologiques et/ou sociales. Leur prise en charge est longue et compliquée.
C’est aussi le cas des personnes en situation de handicap. Le premier avenant conventionnel à négocier pourrait porter sur la consultation longue du patient handicapé. On ne peut pas payer une consultation longue complexe au même tarif qu’une consultation simple et répétitive qui dure cinq minutes. Négocier des avenants, avancer sur les points de blocage, c’est ce que nous devons faire. Mais cela demandera des sous.
En quoi cette convention, que MG France a signée sans enthousiasme, est-elle de nature à améliorer l’attractivité ?
Déjà, économiquement, ce texte sécurise notre métier. Nous ne l’étions plus du tout, on commençait même à avoir des départs de médecins pour raisons financières. J’avoue que je n’ai pas boudé mon plaisir de coter 30 euros le 22 décembre. Ce tarif a été conquis de haute lutte.
Mais ce n’est pas seulement financier. Dans cette convention, il y a d’autres éléments de nature à accroître l’attractivité. C’est la reconnaissance de notre travail, du rôle social du médecin traitant, de sa place dans le parcours de soins qui est inscrite noir sur blanc. Rappelez-vous : au cours des années précédentes, nous avons été démolis par d’autres professions qui disaient pouvoir nous remplacer. Le message était qu’on n’avait pas besoin du médecin traitant. Des élus et des associations de patients nous accusaient d’être responsables des déserts médicaux en refusant de s’installer là où on a besoin de généralistes.
Ce texte comporte par ailleurs des mesures qui bénéficient aux médecins en âge de partir à la retraite. Pour l’embauche d’un assistant médical, ils ne sont plus obligés d’augmenter leur file active, en contrepartie de l’aide conventionnelle. Nous travaillons à cet égard avec la Cnam pour préparer le moment de la cessation d’activité, sans perdre l’assistant médical du cabinet.
La convention propose le paiement à la capitation pour des équipes volontaires. Est-ce intéressant pour les confrères ?
Ceux qui aiment le risque peuvent y aller ! Mais je pose la question : pour quelle raison un chef de l’État prend-il position pour ce type de rémunération forfaitaire ? Je rappelle juste que le système anglais a été coulé avec un système de capitation intégrale. Au début, c’est tant d’argent par patient, avec un prix d’appel intéressant, puis on baisse le forfait jusqu’à saborder la machine. Il me semble quand même plus difficile de faire baisser le tarif des actes. En tout cas, dans la convention, nous avons obtenu que les cabinets de groupe qui souhaitent se lancer dans l’aventure de la capitation puissent sortir du dispositif. Au moins ils ne seront pas piégés.
La France subit de plein fouet l’épidémie de grippe. Les généralistes ont-ils les moyens de vacciner leurs patients ?
Le jour où les médecins seront autorisés à avoir les vaccins dans leurs frigos, ça simplifiera grandement les choses ! Depuis des années, nous le demandons à travers des propositions de loi, en vain. Personne n’est en mesure de nous dire en quoi ça bloque, sauf à nous répondre que ce n’est pas légal pour les vaccins antigrippe. Nous pensions pourtant que le Covid avait fait sauter certains verrous.
Concrètement, comment faites-vous ?
On s’organise autrement. Par exemple, moi, je triche. Je vais chercher 10 boîtes chez mon pharmacien que je mets dans mon frigo et je lui ramène les papiers une fois les vaccins faits. Mais le plus préoccupant aujourd’hui, c’est que les médecins généralistes ne savent pas vraiment qui est vacciné parmi leurs patients. L’État a pensé que, plus il y aurait de vaccinateurs, plus il y aurait de vaccinations. Le résultat montre l’inverse. Que les autorités se débrouillent pour qu’on ait les vaccins dans nos frigos. Ça suffit quoi !
Êtes-vous favorable à l’obligation vaccinale pour les soignants comme l’a évoqué le ministre de la Santé Yannick Neuder ?
Les généralistes sont en contact direct avec les patients fragiles, les personnes âgées, les très malades. Il faut à la fois les protéger et nous protéger. Cela dit, on a vu l’effet délétère généré par le principe d’obligation. Ça a tendance à faire mousser la résistance aux vaccins. Franchement, je ne sais pas quelle est la meilleure voie de passage. Il faut simplement que les soignants soient vaccinés, c’est clair ! Mais quelle est la meilleure façon d’y parvenir ? Je n’ai pas de position arrêtée à 100 %.
Vous présentez lors de votre colloque une enquête sur l’activité de médecine générale. Quels sont les résultats marquants ?
C’est une étude observationnelle qui révèle que, sur l’ensemble des consultations réalisées en une journée par un généraliste traitant, les soins non programmés représentent la moitié de toute l’activité, soit 500 000 sur un million de consultations par jour.
Le colloque illustre ainsi que les généralistes ne font pas que le suivi de malades chroniques, comme certains politiques le disent parfois. Ensuite, nous montrons que les consultations de soins non programmés du médecin traitant ne sont pas exactement les mêmes que celles des centres de soins non programmés.
Faut-il réguler ces centres de soins non programmés qui poussent comme des champignons ?
On est là dans une logique de financiarisation. Certains médecins prennent ce qui est le plus lucratif, le plus facile, délaissant le reste. Il faut changer cette équation. Seule l’installation de nouveaux médecins permettra de répondre à la problématique des soins non programmés. Sinon, on aura une population mal soignée, qui ira à gauche et à droite, multipliera les demandes. Comment encourager les installations ? Justement par le développement des consultations longues et l’élargissement du forfait médecin traitant par exemple.
Comprenez-vous la volonté d’extension des compétences des professions paramédicales ? Les généralistes y sont-ils prêts ?
Politiques, patients, médecins… tout le monde a évolué sur le sujet. Ce que nous refusons, c’est que l’on touche au cœur de notre métier, à notre identité professionnelle. Les médecins généralistes travaillent de toute façon avec les autres ! L’équipe autour du médecin traitant s’appelle l’unité médicale de proximité, c’est-à-dire la secrétaire médicale, l’assistant médical, l’infirmière Asalée, voire l’IPA… Avec l’infirmière Asalée, je précise qu’il n’y a aucun lien de hiérarchie car nous ne sommes pas employeurs. En revanche, nous travaillons au même endroit et nous coopérons au quotidien pour prendre en charge les mêmes patients. Cette collaboration est très performante.
Et puis, il y a tous les autres professionnels de santé du territoire avec lesquels nous travaillons. Mais ce qui importe, à MG France, c’est le respect du parcours de soins. Car les autres professionnels de santé n’ont pas la connaissance du patient que nous avons !
Soins non programmés : la moitié de l’activité !
À la demande de MG France, 48 généralistes ont décrit le contenu de leur consultation durant la journée du mardi 10 décembre. Sur les 1 137 consultations analysées, 50 % relèvent des soins non programmés, avec une durée moyenne un peu plus courte de consultation : 16,4 minutes (contre 18,1 minutes pour les soins programmés).
Repères
1990
Installation dans le quartier de la Goutte d’Or (Paris) après avoir obtenu son diplôme en 1986
De 2011 à 2018
Élue présidente de MG France Paris
2013
Participation au lancement de la maison de santé pluriprofessionnelle de la Goutte d’Or
2016-2021
Déléguée régionale d’Île-de-France à MG France
2017
Vice-présidente de MG France
2022
Présidente de MG France
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur
Face au casse-tête des déplacements, les médecins franciliens s’adaptent
« Des endroits où on n’intervient plus » : l’alerte de SOS Médecins à la veille de la mobilisation contre les violences
Renoncement aux soins : une femme sur deux sacrifie son suivi gynécologique