Que faire lorsque la douleur (et la plainte du patient) persiste malgré les multiples tentatives thérapeutiques ? Que faire lorsque le patient n’applique pas ce qui a été prescrit ? Que faire quand le patient revient et que je n’ai plus rien à proposer ? Que faire quand les facteurs psychologiques semblent être à l’avant-plan ? Que faire quand je me sens impuissant(e) ?
Ce sont ces questions qu’a choisi d’aborder Julia Usina (CHU Brugmann, Bruxelles), lors du 57e congrès de l’AMUB (Association des Médecins anciens étudiants de l’Université libre de Bruxelles) en septembre 2023. (1)
Ajuster son comportement sur trois grands axes
Le réflexe « quasi-automatique » du soignant est de vouloir « faire » quelque chose. Mais peut-être faut-il infléchir ce paradigme ? Julia Usina a mené un travail avec son équipe (12 personnes, 2 infirmières, 7 médecins et une psychologue) afin de décortiquer les déterminants du malaise des soignants face à la douleur chronique. Elle en conclut que les soignants doivent procéder à des ajustements comportementaux sur trois grands axes : rôle du soignant, relation thérapeutique et temporalité.
La persistance de la douleur met le soignant face à un certain nombre de pièges : doute sur ses capacités, surresponsabilisation, mise à distance des patients (clôture rapide des suivis, adressage à un spécialiste) ou manque d’espace laissé au patient dans la consultation. Première recommandation : éviter de s’enfermer (et d’enfermer le patient) dans cet objectif de soulagement, reconnaître ses limites, accepter de ne pas agir, de ne pas prescrire pour prescrire, mais aussi permettre au patient d’intégrer sa douleur, en favorisant une communication transparente, bénéfique aux deux parties.
La relation thérapeutique avec des patients douloureux chroniques se heurte souvent à divers obstacles. Tout d’abord, les a priori inconscients des soignants sur les bénéfices secondaires recherchés par les douloureux chroniques : absentéisme au travail, recherche d’avantages financiers, mise en échec/passivité, troubles psychiques. Corollaire inconscient de ces a priori, l’examen clinique est plus court, le temps d’écoute est limité, l’anamnèse est raccourcie. Trop de médecins choisissent de prescrire et de surprescrire principalement pour faire taire la plainte qui le met mal à l’aise. Le risque est une érosion du lien, mais aussi une déception du patient et une frustration du praticien.
Recréer du lien avec le patient
La solution pour recréer du lien : empathie, validation du vécu, reformulation, curiosité à l’égard des attentes, des besoins et des motivations du patient. « Face aux difficultés, il ne faut pas s’enfermer dans sa fonction de soignant et ne pas enfermer le patient seulement dans sa demande de soulagement. Il faut reconnaître nos limites face à la douleur chronique et offrir la possibilité au patient d’intégrer en partie sa douleur : anesthésier à tout prix la souffrance, ne permet pas l’acceptation », ajoute Julia Usina. En redéfinissant la demande, il est possible de sortir de l’impasse du soulagement et redonner du sens au travail du soignant.
Une autre recommandation utile porte sur une bonne prise en compte de la temporalité. Très variable d’un patient à l’autre, elle est aussi très différente entre patient et soignant. Côté patient, un processus plus ou moins long d’intégration des douleurs chroniques, souvent un processus de deuil, avec une référence à un passé idéalisé et une attente d’un retour en arrière. Côté soignant, la tentation est d’attribuer trop rapidement l’absence de résultats au manque d’implication du patient, qui a peut-être simplement besoin de plus de temps.
En guise de conclusion, Julia Usina plaide pour une valorisation des stratégies relationnelles et elle invite les soignants à compléter leur savoir-faire par un savoir-être.
Déterminants d’une bonne relation médecin/soignant dans la prise en charge de la douleur
Une étude de 2020 (2) met en évidence que la satisfaction des patients douloureux ne dépend pas tant du traitement mais de la qualité de ce lien : écoute, maintien de la communication, faciliter l’accès à des structures spécialisées antidouleur, opinion honnête sur les possibilités thérapeutiques, prendre le temps durant les consultations.
1 - 57e Congrès de l’AMUB. La douleur chronique déroute le soignant : réflexions sur la pratique clinique - Julia USINA, Psychologue Clinique de la Douleur du CHU Brugmannhttps://www.amub-ulb.be/program/2398
2 - Gruß, I., et coll. Satisfaction with Primary Care Providers and Health Care Services Among Patients with Chronic Pain: a Mixed-Methods Study. J GEN INTERN MED 35, 190–197 (2020). https://doi.org/10.1007/s11606-019-05339-2
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