L’activité libérale à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a beau générer une somme rondelette pour les médecins qui la pratiquent – et le CHU qui en perçoit la redevance –, politiquement, cette activité privée reste une pierre dans le jardin du directeur général Nicolas Revel.
Dans son dernier rapport sur le sujet, la commission médicale d’établissement (CME) du CHU francilien note que l’activité libérale a bondi de 15 % en 2022 en volume par rapport à l’année précédente alors que l’activité publique affiche un repli de 2 %. Les honoraires à ce titre, eux aussi, ont grimpé à 54,6 millions d’euros générés, soit 18 % de plus qu’en 2021 (46 millions d’euros).
Seuls 5,6 % des médecins éligibles pratiquent une activité libérale
Parmi les grands chiffres du rapport, on observe que l’évolution des consultations d’activité libérale au sein de l’AP-HP progresse plus fortement (+7 %) que celle du secteur public (+2 %). Quant aux actes libéraux, ils sont en hausse de 21 %, à mettre en perspective avec l’ensemble des actes de l’AP-HP qui essuient une baisse de 4 %.
À l’origine de ces pourcentages, on trouve 367 médecins (dont 237 PU-PH) ayant signé un contrat d’exercice libéral sur les 6 535 praticiens de l’AP-HP éligibles à cette activité (soit 5,6 % des médecins éligibles). C’est 17 de plus qu’en 2021. La part des titulaires d’un tel contrat (par rapport au panel éligible) atteint 19 % chez les PU-PH et chute à 3,3 % chez les PH.
Pour rappel, n’est pas autorisé à faire du libéral à l’hôpital public qui veut. Les règles sont strictes : seuls les PU-PH, les MCU-PH titulaires, les chefs de cliniques (CCA), les assistants hospitalo-universitaires (AHU), les praticiens hospitaliers universitaires et les PH exerçant à au moins 80 % – y compris durant leur période probatoire – peuvent contractualiser avec leur établissement. La durée de l’activité libérale ne peut pas dépasser 20 % maximum de la durée du service hospitalier, soit une à deux demi-journées par semaine.
Plus de 750 000 euros pour trois médecins
En nombre de praticiens concernés, les spécialités chirurgicales (208 contrats, 57 %) se taillent la part du lion par rapport aux spécialités médicales (159, 43 %). La chirurgie orthopédique est en haut du podium (38), suivie de la gynécologie-obstétrique (34) et de l’urologie (26). La cardiologie est la plus représentée (44), suivie de la radiologie-imagerie médicale (28) et la médecine nucléaire (17).
Côté honoraires, les 367 praticiens concernés ont perçu en moyenne 156 372 euros sur l’année au titre de leur activité libérale. Mais dans le détail, les sommes perçues d’un médecin à l’autre sont très hétérogènes. Tout en haut de la pyramide, trois praticiens ont empoché plus de 750 000 euros, 16 entre 500 000 et 750 000 euros et 40 entre 300 000 et 500 000 euros.
La cancérologie-radiothérapie (dont la redevance de 60 % est la plus élevée de l’AP-HP) est la spécialité la plus lucrative (595 484 euros), loin devant la médecine nucléaire (195 097 euros) et la cardiologie (183 190 euros). Parmi les disciplines de plateaux techniques, c’est la chirurgie plastique qui apparaît être la spécialité la plus rémunératrice, suivie de la chirurgie thoracique.
La CME fait un focus sur l’activité libérale de radiothérapie, qui tire particulièrement la dynamique libérale. Le bilan révèle un bond spectaculaire de 296 % en actes et consultations confondus entre 2021 et 2022 au titre de cette activité libérale. La commission se réfère aux travaux de la Cour des comptes, qui notait déjà en 2022 que les oncologues radiothérapeutes recevaient dans le cadre de leur activité libérale des honoraires sensiblement plus élevés que toutes les autres spécialités, de l’ordre de 2,1 millions d’euros par an, soit des montants quatre à cinq fois plus élevés que les émoluments des praticiens exerçant à titre exclusif en secteur public ou en Espic (privé non lucratif). Autre chiffre fort : le montant moyen des honoraires perçus par les radiothérapeutes autorisés à exercer en libéral a progressé de 140 % en sept ans.
Contrôle des abus et possibilité de sanctions
Comme chaque année, la CME fait le point sur les dossiers encombrants, ceux qui concernent des médecins trop gourmands. Conscient de l’aspect sensible et politique du sujet, le DG Nicolas Revel a pris la parole sur France Info, le 23 avril, pour déminer le terrain. Selon le patron du premier CHU de France, seule une dizaine de praticiens ne respectent pas les règles (notamment le plafond des 20 %).
Ces praticiens s’exposent à des sanctions ordinales ou conventionnelles en cas de non-respect de la fixation des honoraires avec tact et mesure. « L’activité libérale représente seulement à peu près 2 % des actes et des consultations à l'échelle de l'AP-HP », a aussi relevé le patron de l’AP-HP.
À noter que cette pratique – parfois considérée comme honteuse pour les défenseurs de l’hôpital public pour tous – a aussi un intérêt pour le CHU : en 2022, l’établissement francilien a empoché 14, 8 millions d’euros au titre des redevances.
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