C’est un pavé dans la mare des soins primaires de proximité que jette l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) avec son rapport d’« évaluation du modèle économique des centres de santé pluriprofessionnels », dévoilé mardi 11 février, mais qui avait été commandé par François Braun et Agnès Firmin Le Bodo… en mars 2023.
Explosion des charges d’exploitation, déficit médian excessif, modèle de tarification obsolète (dépendant à 80 % de l’activité des médecins) et, à mots couverts, productivité des praticiens insuffisante… : avec un an de retard sur le calendrier prévu, l’Igas n’épargne pas les 586 centres de santé pluriprofessionnels (CDS) en activité en 2022, c’est-à-dire employant au moins un médecin généraliste et un auxiliaire médical.
6 000 médecins, 5 200 professionnels médico-administratifs
Si ces centres pluriprofessionnels représentent encore une part très limitée de l’offre de soins primaires au niveau national, soit 1,2 % des dépenses de soins de ville en 2022, leur nombre a fortement augmenté au cours de la période récente (+65 % entre 2016 et 2022), même si leur implantation est fortement concentrée en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France. Leur spectre d’activités de soins médicaux s’avère variable mais se limite souvent « à la médecine générale et à deux ou trois spécialités » – soins dentaires et ophtalmologiques en tête. L’Igas y recense environ 6 000 médecins employés, ce qui représente 2 400 équivalents temps plein (ETP) annuels, mais aussi 5 250 professionnels médico-administratifs (soit 3 850 ETP).
Pour son analyse financière, la mission s’est attachée à examiner la structure des charges d’exploitation et des recettes totales déclarées. Et le résultat est édifiant. Entre 2016 et 2022, les centres de santé pluriprofessionnels ont été confrontés à une augmentation considérable de leurs charges d'exploitation (+82 %, hors centres gérés par les collectivités territoriales), à hauteur de 842,6 millions d’euros, dans un contexte d'inflation et de raréfaction des professionnels, qui les pousse à augmenter les salaires, observe l’Igas. Les charges de personnel ont ainsi bondi de 78 % sur la période. Or, cette hausse des charges n'a « pas été compensée par celle des financements », dont 80 % correspond aux remboursements d'actes par l'Assurance-maladie et les complémentaires santé.
Explosion des dépenses et panne de recettes : avec cet effet ciseaux, les centres se retrouvent avec un déficit médian d'exploitation d'environ « 10 % de leurs dépenses », qui varie en fonction des catégories de gestionnaires – de 5 % (associations) à 67 % (centres universitaires). Mais le bilan est cruel pour le secteur puisque seul un tiers de ces structures parviennent à dégager un résultat excédentaire !
Plus de patients et plus d’actes pour les généralistes libéraux
Pour expliquer ce bilan financier médiocre, l’Igas met en avant le modèle de tarification où 80 % des financements dépendent malgré tout de l’activité des médecins. Or, la « productivité des praticiens » nécessaire à l’équilibre économique des centres « n’est pas suivie au niveau individuel dans les centres que la mission a rencontrés », critique l’Igas, d’autant que la plupart des professionnels médicaux choisissent le plus souvent le temps partiel, « voire très partiel », relève la mission.
L’inspection s’est donc attachée à analyser et tenter de comparer le niveau de file active entre les généralistes des centres et en libéral. Même s’il est très variable selon les centres de santé, en 2022, le niveau médian des praticiens en centre de santé s’établit à 1 481 patients par ETP annuels, versus 1 556 patients pour les omnipraticiens libéraux cette même année. Toutefois, la comparaison « est délicate, faute de données précises sur leur durée de travail », tempèrent les auteurs du rapport.
Dans le même ordre d’idée, les médecins libéraux réalisent en moyenne davantage d’actes que leurs confrères des centres de santé. Ainsi, le nombre médian d’actes cliniques de médecine générale par ETP annuels des généralistes employés par les centres de santé était de 3 396 en 2022 contre 4 614 pour leurs homologues libéraux. Soit « un écart de 36 % », entre les deux modes d’exercice, constate le rapport, qui précise une fois de plus que le nombre d’actes par médecin est extrêmement variable selon les centres.
Sans surprise, ces « écarts de production » entre les deux modes d’exercice se retrouvent sur le nombre médian de patients suivis ayant déclaré un médecin comme « médecin traitant » et sur la patientèle totale concernée, enfants compris (700 patients MT par généraliste en centre de santé contre 1 100 en libéral). Autant de données qui soulignent la nécessité, selon l’Igas, d’améliorer la « productivité des médecins » qui exercent au sein des centres de santé.
Étendre les plages horaires ?
Pour autant, la mission ne recommande pas de « modifications substantielles du modèle économique » pour la majorité des centres de santé. Mais plutôt le recours à plusieurs leviers (lire encadré) comme l'extension des plages d'ouverture, la réalisation de téléconsultations ou encore la gestion plus rigoureuse des agendas.
Majoritairement implantés dans des zones sous-denses et défavorisées, les centres pluriprofessionnels contribuent à l'accès aux soins des plus précaires, soulignent toutefois les rapporteurs. Mais si leur développement peut « constituer une réponse au phénomène de désertification médicale », celle-ci ne peut être effective que « dans l’hypothèse d’une prise en charge coordonnée des patients et de l’augmentation de leur file active et/ou de leur patientèle médecin traitant », insiste le rapport.
Huit propositions pour consolider le modèle économique
La mission avance plusieurs mesures concrètes qui permettraient de fortifier le modèle économique fragilisé des centres de santé.
– Accompagnement méthodologique et financier des centres assuré par les autorités sanitaires et les caisses de l’Assurance-maladie. Objectif : permettre la montée en compétences des gestionnaires de ces centres et mettre en évidence les leviers d’optimisation des recettes
– Mise à niveau par l’Assurance-maladie de son offre de services pour offrir aux centres de santé les mêmes ressources d’accompagnement et d’accès aux téléservices (amelipro) et télédéclarations qu’aux professionnels libéraux
– Simplification de l’accès aux aides démographiques, au même niveau que celles des libéraux. Mise en place de bonus (patientèle, précarité, quartier prioritaire de la ville) ou d’aides financières à la sécurisation des locaux.
– Possibilité pour les centres, très affectés par les rendez-vous non honorés, de facturer des dépassements « DE » proportionnés à la perte de recettes
– Autoriser un exercice mixte au sein des centres de santé (libéral et salarié), à l’instar de ce qui se pratique dans les établissements (paiement d’une redevance pour l’utilisation des locaux/plateaux techniques)
– Création d’indicateurs de rémunération spécifique au travail en équipe : bonus pour la nomination d’un chef de service/équipe pluriprofessionnelle traitante et rémunération de la coordination
– Rémunération des centres pour la totalité des stages de formation afin d’orienter les jeunes professionnels de santé vers le travail en équipe
- Et pour les centres prêts à mettre en place des équipes traitantes (basées sur un partage des tâches entre médecins et infirmières), la mission recommande d’aller vers un nouveau modèle de tarification fondé sur la capitation
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