Êtes-vous un grand lecteur ?
Je lis beaucoup, c’est sûr, mais j’écris aussi Je suis actuellement en train de terminer un roman dont le narrateur est médecin.
De quoi parle ce roman ?
Le point de départ est un événement que j’ai vécu. J’ai fait mes études à Bordeaux puis mes deux derniers semestres d’interne à Paris. Et j’ai débarqué à Lariboisière qui donne sur le square Villemin, pas très loin du canal Saint-Martin. Peu après, j’ai donné rendez-vous à un ami médecin dans ce square car il y avait un toboggan sur lequel pouvait jouer ma fille de trois ans. En sortant du square, j’ai vu un jeune homme les bras en croix sur la pelouse. Mon premier réflexe de médecin a été d’aller le voir car il n’avait pas l’air d’aller bien. En fait, il venait de prendre cinq coups de couteau et il est mort dans mes bras. Les flics sont arrivés et je me suis retrouvé comme témoin principal d’un meurtre. C’était un Afghan… Ca fait bizarre d’être entendu dans un fourgon de police un dimanche matin avec sa fille. C’était d’autant plus troublant que je venais de travailler en Afghanistan pendant plus d’un an avec Médecins sans frontières. J’étais rentré car c’est très difficile de travailler dans un pays en guerre où on est très exposé quand on a des enfants.
Après la mort de cet Afghan – qui s’appelait Zadran– dans mes bras, J’ai poursuivi une enquête pendant un an pour savoir qui il était et comment il était arrivé jusque-là. Il y avait plein de témoins. J’ai rencontré plein d’Afghans qu’il avait côtoyés à Paris qui me racontèrent qu’il avait vécu dans des foyers pendant sept ou huit mois avant de se retrouver dans ce square. J’appris aussi qu’il avait été pris en charge à tout hasard par un psy à MSF . C’est ainsi que l’enquête que j’ai menée sur Zadran a abouti à ce roman…
Comment vous présentiez-vous aux gens pour votre enquête ? Ne trouvaient-ils pas un peu étrange que ce soit un médecin qui vienne leur poser des questions ?
Je me présentais comme quelqu’un voulant écrire un livre sur Zadran et le fait d’avoir travaillé en Afghanistan m’a aidé. De plus, j’avais fait des projets d’aide aux réfugiés afghans au Pakistan, en Iran et en Europe. Donc je connaissais bien leur problématique. Je connaissais tous les lieux dont ils parlaient et ça a permis de créer un climat de confiance.
Ce n’est pas trop compliqué d’écrire tout en ayant son métier de médecin à exercer ?
Je partage mon temps. Je travaille une semaine sur deux. On est deux médecins à mi-temps et on fait une semaine chacun, à tour de rôle. Ce sont des semaines de travail très chargées, mais celles où je ne travaille pas, je les consacre entre autres et même beaucoup à l’écriture.
Vous écrivez donc, mais vous lisez aussi énormément aussi…
Je lis beaucoup et un peu de tout. Des séries, de la philo, des romans, des revues médicales. Des poèmes aussi, parfois et les journaux tous les jours.
Un médecin de fiction a-t-il exercé une réelle influence sur votre façon de voir la médecine ?
Dans un premier temps, j’ai envie de dire que je ne me suis identifié à aucun médecin qu’on rencontre dans la littérature. Mais, en y réfléchissant, deux livres ont beaucoup compté pour moi : La Peste, d’Albert Camus, et Le Voyage au bout de la nuit de Céline. Le Dr Rieu et Bardamu m’impressionnent parce qu’ils ont cette capacité à rester, au milieu du chaos, les pieds ancrés au sol. Je pense que ça m’a aidé d’être comme ça au cours de mes missions pour MSF.
Mais le plus instructif pour nous médecins, ce sont les malades. C’est ce que j’ai aimé dans La Maladie de
Sachs, même si je ne suis pas absolument fan de Martin Winckler. Tout d’abord, ce livre est vachement bien foutu dans la forme déjà. L’écriture est sympa, ça parle bien de la médecine générale et, surtout, il est question d’un médecin qui est malade, ce qui n’est pas si courant dans la littérature, à part Jean Reverzy dans Le Passage, médecin malade qui se soigne par l’écrit. Ce que l’on apprend dans la littérature, c’est la subjectivité. C’est important car le médecin va entendre la subjectivité des patients si lui-même prend conscience de la sienne.
La fiction a-t-elle eu un rôle dans la construction de votre identité personnelle ?
Le philosophe Paul Ricœur a écrit sur le temps et l’identité narrative. Pour lui, ce qui nous définit, c’est ce qu’on raconte de nous même, comment on se raconte. À partir de son histoire familiale, professionnelle et, aussi, avec l’histoire des autres… Et cette identité-là est à concevoir en dynamique pour remettre à jour à chaque fois le récit, car à un moment donné ça ne fonctionne plus. C’est très intéressant au point de vue des dysfonctionnements de la vie qu’on appelle maladie pour un médecin généraliste. A un moment donné on n’arrive plus à se raconter une autre histoire et, alors, c’est le « bug ». Et cette identité du patient vient à un moment donné en miroir de l’identité du médecin. Celle-ci est faite de sa propre histoire mais aussi de comment le patient raconte au médecin qui il est, de comment il s’est enrichi des histoires des autres et aussi de ce qu’il a lu.
Je pense que la fiction a un rôle extrêmement important sur la construction de cette identité. À quelle histoire s’identifie-t-on ? Quelle histoire vous a touchée ? On est fait de tout ça. C’est très pratique du point de vue médical, dans la consultation. Cela nous raccroche à des émotions, à des choses qu’on a vécues directement ou qu’on a entendues raconter. Et cela peut nous ramener à des histoires lues. Celui qui sait tisser ce maillage en faisant des liens multiples avec des situations autres que celles qui sont en train de se jouer en consultation va pouvoir répondre au mieux, comprendre son patient plus que s’il est enfermé dans sa petite identité restreinte, s’il se contente d’être médecin dans son coin. Et en plus, ça va pouvoir lui donner des idées, des situations pour pouvoir répondre à la demande du patient.
Le médecin est-il un bon lecteur ?
La lecture est un exercice de décryptage. Je pense donc que les médecins ont intérêt à lire pour être meilleurs et pour ne pas que faire qu’appliquer des recommandations. Les qualités requises pour comprendre la consultation et lire un texte sont assez proches.
Avez-vous lu les autres livres de Martin Winkler ?
Après La Maladie de Sachs, je me suis arrêté. Il y a un côté un peu « recette » qui faisait que j’avais un peu l’impression d’avoir déjà lu le livre avant de l’avoir lu. Et puis cette spécialisation de l’écriture c’est un peu suspect. Un médecin qui écrit sur des médecins. Il y a un côté filon qui m’intéresse moins.
Vos lectures actuelles sont-elles orientées vers des romans faisant référence à la médecine ou à des médecins ?
Pas vraiment, je lis vraiment de tout maintenant, plus qu’avant. Par exemple, je me souviens avoir lu
Morphine, de Boulgakov, et que ça m’avait marqué ado, mais c’était ma période rock...
Que pensez-vous des personnages de médecins dans la littérature, plutôt classique, qui reviennent souvent, ces figures paternalistes bienveillantes, comme Zola avec son bon Docteur Pascal ?
Cette idée de bienveillance et d’empathie m’énerve. Être médecin, ce n’est pas être bienveillant, on est des êtres humains, un point c’est tout. Pour moi, l’importance de la relation avec le patient, la clé, c’est le dialogue. Le médecin doit accepter ses failles et faire avec, il doit accepter que certains patients ne l’aiment pas et il doit être capable de mettre fin à la relation quand on est dans l’impasse.
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