« Alors que la croissance des dépenses de soins de ville a systématiquement excédé les objectifs depuis 2015, la maîtrise des dépenses d’Assurance maladie ne constitue pas un élément central des relations conventionnelles ».
Dès l’introduction de son propos, la Cour des comptes annonce la couleur. Dans son dernier rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale, elle a décidé de se pencher sur le système conventionnel et la manière de renforcer sa « contribution à l’efficience des dépenses ». Car comme l’explique Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, « la médecine de ville est un acteur majeur du système de santé et il faut faire en sorte que son activité soit régulée dès lors que pour l’essentiel elle est financée par les cotisations obligatoires et les contributions publiques ».
Le coût des conventions ni suivi ni régulé
Avant de formuler ses recommandations, la Cour dresse un bilan plutôt sévère du système conventionnel. Elle explique en préalable que les postes de dépenses qui relèvent du champ conventionnel (les honoraires médicaux, dentaires, paramédicaux et les dépenses de laboratoires) représentent « un peu plus de la moitié de la progression du poste dépenses de prestations de soins de ville (55 %) » entre 2015 et 2019.
Malgré cela, les sages de la rue Cambon regrettent que le suivi du coût propre des conventions soit quasi inexistant, de même que les régulations. « Des clauses de revoyure ou de sauvegarde peuvent pourtant être négociées. À ce jour, elles n’ont jamais été mises en œuvre pour freiner l’évolution des dépenses d’Assurance maladie », souligne le rapport. Le cadrage des dépenses par les ministères, s’il existe, n’est pas forcément pris en compte. Et à l’issue des négociations si les textes sont soumis à l’approbation des ministres, le non-respect de la trajectoire financière prévue dans les lois de financements de la Sécurité sociale ne figure pas dans les motifs de refus d’approbation.
Une Rosp inefficace
Sur le principe même du dialogue conventionnel et son organisation, le rapport note que de 2015 à fin 2021, 60 textes conventionnels de toute nature ont été conclus. « Les partenaires conventionnels sont ainsi installés dans une négociation quasi permanente, en particulier pour les médecins et pharmaciens ».
Par ailleurs, s’il est aujourd’hui admis que les discussions conventionnelles contribuent à la mise en œuvre des priorités politiques de santé, pour la Cour, les accords actuels sont encore inefficaces à opérer des véritables changements.
Sur les dispositifs conventionnels incitatifs, le rapport juge « qu’ils se limitent encore souvent à des effets d’annonce ou, pour les professionnels, à des avantages ponctuels sans contrepartie ». La Cour des comptes considère par ailleurs que le paiement à l’acte représente encore une part trop importante de la rémunération. Elle ajoute qu’il augmente le risque de dérives inflationniste des dépenses et est peu propice au déploiement de la prévention.
Sur les forfaits existants, le rapport critique la Rosp et notamment l’abaissement durable des seuils d’éligibilité et des résultats attendus en termes de santé publique, afin de garantir la rémunération des professionnels. Par exemple sur les objectifs pour le dépistage du cancer colorectal : « l’objectif de part de la population concernée par un dépistage du cancer colorectal, initialement fixé en 2016 entre 40 et 70 %, a été ramené à une fourchette comprise entre 24 % et 55 %, soit à une valeur inférieure à celles recommandées par l’Union européenne pour espérer faire baisser la mortalité de 10 % », détaille le rapport. « La France, qui enregistrait déjà des résultats très inférieurs à ses voisins européens, a vu son taux de participation à ce dépistage baisser depuis, sans que la rémunération des médecins en soit affectée. »
Priorité à un accord interprofessionnel
Après ce bilan sévère du système conventionnel, la Cour des comptes fait donc une série de recommandations. Elle appelle ainsi à ce que les enjeux pluriprofessionnels et interprofessionnels deviennent « la clé de voûte de la politique conventionnelle ».
Cela passe notamment par une inversion de l’ordre des négociations avec d’abord un accord interprofessionnel concernant l’ensemble des professions, pour fixer toutes les mesures communes figurant dans les conventions professionnelles.
« Il pourrait unifier les dispositions relatives à la vie conventionnelle et à la contribution de l’Assurance maladie à la couverture des cotisations sociales des professionnels libéraux qui sont aujourd’hui prévues dans chaque convention. Il pourrait aussi fixer certaines rémunérations », détaille ainsi le rapport.
Cet accord serait complété par « des ACI à géométrie variable conclus avec certaines professions, pour clarifier leurs compétences partagées et structurer des prises en charge coordonnées ».
« Les conventions professionnelles traiteraient, ensuite, des seules spécificités de chaque profession ».
Concernant la participation des acteurs à ces négociations interpro, à l’image de l’article prévu dans le PLFSS 2023 qui ouvre la porte à la participation des fédérations de structures d’exercice coordonné, « il conviendrait a minima de leur accorder un statut d’observateur lors des négociations pluriprofessionnelles et interprofessionnelles et peut-être, de façon plus ambitieuse, d’en faire des partenaires conventionnels à part entière », estime la Cour. Le rapport appelle aussi à associer les représentants des patients à la détermination des grandes priorités des négociations.
Donner la main aux ministres
Pour mieux réguler les dépenses, le rapport recommande notamment de mettre en place un suivi régulier du coût détaillé et complet de chaque convention et de rendre publics, à l’issue des négociations, les objectifs pluriannuels de dépenses par convention.
Les attentes et contreparties attendues des professionnels de santé doivent aussi être définies plus précisément.
Le rapport suggère aussi d’augmenter la part des forfaits dans la rémunération des médecins. « Il pourrait en particulier être intéressant, dans le cadre des négociations de la prochaine convention médicale, d’offrir aux praticiens qui le souhaitent la possibilité d’opter pour une rémunération avec une composante forfaitaire plus marquée sous réserve qu’ils s’inscrivent dans un exercice coordonné », avance la Cour des comptes.
Pour les sages de la rue Cambon, il faut mettre en place une stratégie pluriannuelle de négociations conventionnelles, « conformément aux objectifs de coordination et de gradation des soins fixés par la stratégie nationale de santé ».
Enfin la Cour des comptes souhaite que les ministres prennent davantage la main dans ces relations conventionnelles avec une systématisation de l’élaboration des lettres ministérielles d’orientation adressées au directeur général de la Cnam et un renforcement de leurs pouvoirs de régulation.
« La possibilité, pour le ministre, d’écarter des dispositions conventionnelles sur des motifs financiers et de baisser unilatéralement les tarifs pourrait être étudiée, à travers l’extension du champ d’application et l’adaptation du mécanisme de l’article 99 de la loi de financement pour 2017 », avance ainsi le rapport. Le PLFSS 2023 vient déjà de prévoir une extension de cet article pour les biologistes.
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