Nouvelle méthode, propositions améliorées : dans un entretien au Quotidien, le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, affiche sa volonté de reprendre « sans tarder » les négociations afin de trouver un « accord ambitieux » avec les médecins libéraux.
Il renonce au contrat d'engagement territorial, qui avait braqué la profession cet hiver, et souligne que la hausse de la consultation à 26,50 euros prévue dans le règlement arbitral n'est qu'une « étape ». « ll faut certainement aller au-delà de ce tarif », annonce-t-il, souhaitant un « rééquilibrage des rémunérations » au profit de la médecine générale et des spécialités cliniques.
Le patron de l'Assurance-maladie se montre ferme avec les médecins qui ne respectent pas les tarifs conventionnels (des « sanctions » sont prévues) mais il relativise ce mouvement de fronde tarifaire, qui ne concerne que « 850 » praticiens. Il s'explique sur la campagne de contrôle accru des IJ cet été. « Ce n’est pas une mécanique aveugle ».
Il dénonce les appels aux déconventionnements (« une forme de prise d'otage des patients ») mais affirme que seules « quelques dizaines de médecins » ont franchi le pas. Enfin, l'extension du secteur II n'est pas à l'ordre du jour.
LE QUOTIDIEN : Quand allez-vous relancer officiellement les négociations conventionnelles ? Dans quel état d’esprit abordez-vous ce round ?
THOMAS FATÔME : Mon état d’esprit est résolument tourné vers le dialogue et l’action. C’est celui du patron de l’Assurance-maladie qui a négocié et signé, avant l’été, un grand nombre d’accords ambitieux avec plusieurs professions de santé. Des négociations « flash » sur l’inflation, une nouvelle convention avec les dentistes, un protocole pluriannuel avec les biologistes, deux avenants très importants avec les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes. Bref, la dynamique conventionnelle fonctionne ! Le dialogue social dans la santé, ça marche. De part et d’autre, on a su trouver des terrains d’entente, dans le cadre de négociations pas toujours évidentes.
Il n’y a pas de raison que le dialogue conventionnel ne produise pas des résultats aussi avec les médecins. D’ailleurs, avant ces négociations non abouties, il avait fonctionné. J’en veux pour preuve l’avenant 9 d’août 2021. Le règlement arbitral assure une forme de continuité mais il faut que les partenaires conventionnels reprennent le dialogue. Je souhaite donc que la reprise des négociations puisse se faire sans tarder.
C’est-à-dire ?
Il faut deux choses. Un nouveau mandat du ministre de la Santé et de la Prévention, qui termine en ce moment des rencontres avec l’ensemble des syndicats médicaux. Et de nouvelles orientations du conseil de l’Uncam. Dès lors que ces éléments sont sur la table, nous serons prêts à redémarrer. Nous nous y préparons sur le fond comme sur la forme, pour enclencher des discussions de manière rapide.
Aurélien Rousseau a souhaité que la dynamique des discussions soit enclenchée avant le 1er novembre, date symbolique du C à 26,50 euros…
Je partage ce calendrier. Mais encore une fois, il y a des étapes juridiques et politiques à respecter au préalable.
Précisément, le cadre politique et financier des négociations sera-t-il différent du précédent ?
Je souhaite en tout cas qu’il permette de construire un accord ambitieux avec les médecins. Le gouvernement présentera, a priori, dans l’intervalle son projet de loi de financement de la Sécurité sociale et l’Ondam pour 2024. Ces éléments poseront aussi le contexte des discussions.
Mais je le dis : nous devons garder en tête que les défis du système de santé n’ont pas disparu. Les tensions sur l’accès aux soins sont réelles. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité, de part et d’autre, à proposer des solutions nouvelles. J’attends des syndicats qu’ils soient force de propositions. De notre côté, on ne reformulera pas de propositions qui n’ont pas fonctionné.
Pour la majorité des syndicats, la consultation à 30 euros sans conditions est un prérequis. Allez-vous mettre cette proposition sur la table ?
La consultation à 26,50 euros n’est qu’une étape, c’est clair. Il faut certainement aller au-delà de ce tarif. Mais il y a eu des avancées depuis deux ans : on a trois fois plus de visites longues majorées, on a revalorisé plusieurs spécialités cliniques – pédiatres, psychiatres –, l’avis ponctuel de consultant, les soins non programmés. L’arbitre a mis en place une consultation à 60 euros pour les médecins traitants qui prennent des patients en ALD, c’est 2 000 euros d’honoraires en plus par médecin. Le passage à 26,50 euros représente quant à lui 6 % d’augmentation à venir. Mais, encore une fois, ce n’est qu’une étape. Tout le monde mesure le contexte inflationniste qui doit être pris en compte. Ces nouvelles revalorisations devront s’inscrire dans une réflexion plus globale sur l’attractivité de la médecine de ville et l’accès aux soins des patients.
Mais avez-vous abandonné l’idée d’un engagement territorial conditionnant l’accès à des revalorisations tarifaires supplémentaires ?
Oui, soyons clairs : je ne vais pas reprendre une logique qui liait une revalorisation à l’acte avec des conditions individuelles d’engagement. Le contrat d'engagement territorial, c’est terminé. J’entends et j’écoute : celui qui n’a pas compris que les 30 euros étaient un sujet majeur n’a pas suivi ce qui s’est passé ces derniers mois. Je suis lucide.
Mais j’attends aussi en contrepartie des propositions de la part des syndicats médicaux, en particulier sur un sujet majeur, insuffisamment traité jusque-là, comme le ministre de la Santé et de la Prévention l’a lui aussi demandé : celui de la qualité et de la pertinence des soins, de la qualité des prescriptions. Quels sont les nouveaux outils que nous pouvons construire avec les médecins ? Par exemple pourquoi sommes-nous si en retard sur les biosimilaires ?
Je vois aussi les propositions des syndicats sur le forfait médecin traitant. Je souhaite davantage miser sur ce forfait bien perçu par la profession et remettre le médecin traitant au cœur de nos discussions, y compris bien sûr, en intégrant le rôle de la médecine spécialisée.
Au-delà de la médecine générale, y a-t-il toujours une volonté de revaloriser certaines spécialités cliniques au bas de l’échelle des revenus ?
Clairement, nous voulons poursuivre un rééquilibrage des rémunérations au bénéfice de la médecine générale mais aussi d’autres spécialités cliniques. Notamment les pédiatres et les psychiatres. Nous avons des avancées importantes dans l’avenant 9, il faut aller plus loin. Je souhaite aussi que cette négociation nous permette de mieux appréhender les défis de chacune des spécialités. Nous n’en avons pas eu le temps la dernière fois.
Mais est-ce à la Cnam d’organiser une politique de revenus ?
De fait, l’outil conventionnel est un vecteur de revenus mais ce n’est pas ma porte d’entrée. Je constate qu’il y a des spécialités en risque de défaut d’attractivité, la médecine générale, la pédiatrie et la psychiatrie. Ce qui m’intéresse, c’est comment on accompagne ces spécialités en fonction des besoins de santé, des politiques de santé publique. Si on parle de santé de l’enfant, il faut une chaîne organisée, une médecine générale et pédiatrique libérale qui fonctionne !
Des syndicats vous ont souvent reproché de ne pas être assez à l’écoute. C’est aussi un changement de méthode que vous annoncez ?
Le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention l’a dit en arrivant : ce qui est important, ce sont les preuves. Nous avons prouvé à l’Assurance-maladie, au deuxième trimestre, que nous savions écouter et tenir compte des attentes des différentes professions de santé. Mais je dis aussi que je souhaite instaurer davantage de transparence, il faut que nous expliquions mieux nos propositions, nos éléments de diagnostic. Tout ce qui est mis sur la table, nous devons le diffuser plus tôt pour que les syndicats aient le temps de l’appréhender. Le débat doit être plus largement porté.
Vous avez dit que les réseaux sociaux avaient contribué au mauvais climat et pesé sur le résultat des négociations...
Indéniablement, c’est une donnée qui a un impact. Quand certains tweetent en pleine séance de négos, ce n’est pas forcément toujours simple à concilier avec la sérénité des discussions. En tout cas, certains comportements n’aident pas à aboutir. À nous d’adapter sans doute notre présence sur ces réseaux sociaux en étant encore plus pédagogique. Car sur le fond, je constate que des fake news prospèrent. L’Assurance-maladie n’a rien à cacher dans ces négociations, qui concernent 100 000 médecins libéraux et engagent potentiellement des milliards d’euros.
Pensez-vous, comme Aurélien Rousseau, qu’il s’agisse d’une des négos les plus difficiles dans l’histoire des conventions, à cause de la contrainte financière ?
Les négociations non abouties de l’hiver dernier montrent que la discussion est compliquée. C’est pourquoi nous devons de part et d’autre changer de méthode. Je souhaite que les médecins se sentent davantage entendus par l’Assurance-maladie et qu’il y ait en face plus de retenue de la part de nos partenaires. Ces négociations ne doivent pas être vécues comme une confrontation mais comme un dialogue pour trouver ensemble des solutions. Les attentes sont très fortes, le malaise est réel, je le mesure. Il y a moins de médecins et davantage de patients.
Mais j’ai rencontré aussi beaucoup de médecins sur le terrain ces derniers mois en prenant le temps de les écouter, à Toulouse, Saint-Étienne, Laval, Nantes, et ils sont nombreux à avoir une volonté de construire… Ils développent des CPTS, des MSP, des équipes de soins, travaillent en très bonne intelligence avec les autres professions de santé. Il faut nous appuyer sur cette dynamique collective.
Depuis plusieurs semaines, des collectifs de généralistes passent d’autorité leur consultation à 30 euros. Quelle est l’ampleur de ce mouvement ?
Nous suivons cela de près. Fin août, nous avions 850 médecins (sur 50 000 généralistes) qui, régulièrement et sur une part non négligeable de leur activité, cotent soit 30 euros directement, soit utilisent un « DE » systématique. J’ai entendu sur les réseaux sociaux que la moitié des généralistes cotaient 30 euros de façon sauvage, on est donc très très loin de cela ! C’est moins de 2 % des généralistes, je me félicite donc que l’immense majorité des médecins continuent de respecter les tarifs conventionnels. Lorsque les médecins pratiquent assez systématiquement des dépassements, ce sont les patients qui payent. Ils font peser sur eux un reste à charge illégal, ce n’est pas acceptable.
Comptez-vous sévir et si oui, comment ?
Nous leur avons adressé un courrier rappelant les règles du jeu conventionnel, qui prévoit une période d’observation. Nous y sommes. J’ai demandé aux caisses primaires de privilégier le dialogue mais les courriers sont très clairs : si les comportements ne changent pas, des étapes et des sanctions sont prévues. Ma responsabilité, c’est de faire respecter les règles conventionnelles.
L’UFML a lancé des appels au déconventionnement et revendique plus de 2 700 lettres d’intention. Cette contestation vous inquiète-t-elle ?
À ce jour, nous n’avons enregistré que quelques dizaines de déconventionnements effectifs depuis début 2023. Je ne commente pas des lettres d’intention dont je ne mesure pas le volume réel. Mais je condamne ces appels irresponsables. C’est une forme de prise d’otage des patients, qui ne sont pas responsables. Ils relèvent d’un choix individuel de quelques médecins qui se mettent en dehors du système permettant le remboursement et la prise en charge de leurs patients.
Envisagez-vous une ouverture du secteur II, que réclament certains syndicats ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. On a travaillé sur le sujet de l’Optam [option de pratique tarifaire maîtrisée, NDLR], son évolution et ses paramètres. C’est un dispositif intéressant qui permet de construire une régulation des dépassements, leur solvabilisation partielle par les complémentaires, et donc de gérer des restes à charge maîtrisés. L’heure n’est pas pour moi à une extension du secteur II.
Un mouvement de grève illimitée a été annoncé par plusieurs syndicats à partir du 13 octobre. Cela complique-t-il l’entrée en négociation ?
Je crois me souvenir que l’origine de ce mouvement de colère n’est pas en lien direct avec les négociations conventionnelles mais avec l’examen au Sénat de la proposition de loi dite « Valletoux » sur l’accès aux soins. Il faut lire attentivement le texte voté par l’Assemblée ; le député Frédéric Valletoux a redit clairement que son texte ne comportait pas d’obligation individuelle de permanence des soins, ni de régulation de la liberté d’installation.
Je le dis aux médecins : plus la mécanique conventionnelle est forte, plus elle est de nature à « rassurer » le gouvernement et le Parlement en montrant que les professionnels de santé et l’Assurance-maladie trouvent des solutions. J’espère que les prochaines semaines permettront de clarifier ces sujets et que le Sénat y contribuera aussi.
L’été a été marqué par une campagne de contrôles renforcés des arrêts maladie. Les médecins ont dénoncé une forme de « flicage » sur leurs prescriptions. Était-ce le bon moment pour lancer cette campagne ?
Cette campagne ne vient pas de nulle part. On constate une dynamique élevée des dépenses liées aux arrêts de travail dont la moitié seulement s'explique par la situation démographique ou économique. Il y a certes d'autres facteurs comme la souffrance au travail, mais quand on contrôle 300 000 assurés, dans 20 % des cas, l'arrêt n'est pas justifié ! Nous devons agir pour que ces dépenses soient mieux maîtrisées. Notre démarche concerne les médecins, les assurés et les entreprises. Ces derniers mois, 250 entreprises de plus de 150 salariés qui présentent des taux d’absentéisme élevés ont été rencontrées.
Concernant les généralistes, nous avons ciblé un peu moins de 1 000 médecins, soit 2 % d'entre eux, bien loin du chiffre de 30 % que j'ai entendu. Les entretiens confraternels, les visites des délégués de l’Assurance-maladie, ce n’est pas du contrôle, on fait ça depuis vingt ans ! Nous leur proposons un accompagnement, des outils d’information…
Au final, dans un quart des cas, le dialogue individuel a abouti à l'abandon de la procédure de mise sous objectifs (MSO). Dans un peu moins de la moitié des situations, les médecins acceptent la MSO et donc dans le quart restant, ils l'ont refusé, ce qui va entraîner une mise sous accord préalable (MSAP). Ce n’est pas une mécanique aveugle. Une petite minorité de médecins abusent, soit quelques centaines de praticiens.
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