Bis repetita... Comme chaque année depuis l’instauration de la ROSP, cette poignée de confrères irréductibles n’attend rien d’un hypothétique treizième mois. Comme tout le monde, ils avaient jusqu’à la veille de Noël 2011 pour signaler à la Sécu leur souhait de refuser le dispositif de paiement à la performance. Ils ont dû pour ce faire adresser à leur CPAM une lettre recommandée avec accusé de réception pour exprimer leur opposition à la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Sans quoi l’accord était considéré comme tacite. Avec, toutefois, une possibilité pour ceux qui changeraient d’avis en cours de route d’y adhérer, mais pas de s’en « défaire »...
Un boycott initié dans le Finistère
À l’époque, de petites organisations avaient appelé au boycott du paiement à la performance. En particulier les militants de la Coordination 29 (Finistère) qui avaient lancé une pétition récoltant environ 300 signatures. Hostiles au dispositif, ils dénonçaient « le flou » de celui qu’on appelait encore « P4P » et s’inquiétaient des risques de sélection des patients pour atteindre les objectifs. Quatre ans après, regrettent-ils leur démarche ? Bernard Plouhinec, généraliste à Guilers (Finistère), est l’un d’eux. « Nous étions nombreux dans le coin, 161 généralistes exactement, à refuser la ROSP, c’était le premier département de France en nombre de refus ». Pour ce généraliste, installé depuis plus de 30 ans et proche de la retraite, c’est surtout sa volonté de « conserver son indépendance » et « de ne pas être tributaire de la Sécu » qui a motivé son refus d’adhérer.
[[asset:image:5461 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u00ab Je consid\u00e8re que cette r\u00e9mun\u00e9ration induit un lien d\u2019int\u00e9r\u00eat pour le m\u00e9decin. \u00bb"]}]]À Panazol, dans la banlieue de Limoges, le Dr Philippe Nicot, « très investi sur la qualité des soins de ses patients », – il a été chargé de mission pour l’évaluation des pratiques professionnelles à la HAS pendant dix ans –, insiste sur le fait qu’il n’a « pas de liens d’intérêts pharmaceutiques ». « C’est très important pour moi de le préciser car c’est pour cette raison que je n’ai pas signé pour la ROSP. Je considère en effet que cette rémunération induit un lien d’intérêt pour le médecin car il est, en quelque sorte, commissionné pour faire tel ou tel acte ou prescrire tel ou tel médicament. »
Liberté, liberté chérie
Pour les quelque 3 % de médecins généralistes qui n’ont pas adhéré à la ROSP, l’indépendance vis-à-vis des intérêts financiers est sans doute la principale raison qui a motivé leur refus. C’est également le point de vue du Dr Philippe Masson, installé à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle). Cette participation lui semble entraîner un risque de conflit d’intérêt. « C’est un doigt mis dans l’engrenage. Je trouve aussi que cette façon de rémunérer le médecin c’est le prendre pour une personne intéressée par l’argent et seulement motivée par ce biais-là. On va vers un système de marchandisation des soins ». Même argument pour le Dr Dominique Dupagne, connu pour ses nombreuses prises de positions sur les réseaux sociaux. Depuis la ROSP, il est également l’animateur du blog « Les médecins qui refusent la prime Sécu », sur lequel plusieurs dizaines de lettres de refus ont été publiées, les médecins s’exprimant sur leurs raisons (voir encadré ci-dessous). « La ROSP, c’est un conflit d’intérêt puisque le médecin est payé pour une prescription. Nous avions milité avec le groupe des médecins qui avaient signalé leur refus de participer à la ROSP pour que l’Assurance Maladie inscrive, à côté des noms de ces médecins, sur le site d’ameli.fr, qu’ils n’avaient pas signé. De la même façon que sur le site du ministère sur la transparence, on aurait pu voir ou pas qui a des liens d’intérêts. Mais la Cnamts a refusé notre demande. »
Parmi les motifs de renoncement, nombre d’anti-ROSP brandissent donc la liberté de prescription et d’indépendance, notamment l’article 5 du code de déontologie médicale qui s’y rapporte. D’autres raisons, comme le choix, à leurs yeux malencontreux, des indicateurs, viennent confirmer leur positionnement. Le Dr Philippe Nicot assure que ce dispositif ne permet pas d’améliorer la santé des patients. « On voit ce qui se passe en Angleterre, l’expérience a montré ses limites ». Le praticien limousin rappelle qu’il est à l’origine des premières déclarations de patients qui ont développé un diabète en étant sous statines. C’était il y a trois ans. Autant dire que l’item qui encourage la prescription de statines chez un diabétique ne passe pas : « Je ne peux quand même pas trahir mes travaux scientifiques. Je sais qu’un certain nombre de choses dans la ROSP sont fausses. Ces effets secondaires sont même connus de la FDA (Food and Drug Administration) et de l’Agence européenne du médicament (EMA) ».
[[asset:image:5481 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u0022Il y a mieux \u00e0 faire que de noter les m\u00e9decins pour le suivi des diab\u00e9tiques.\u0022"]}]]Erreur de ciblage, plaide aussi le Dr François Meuret. Pour cet adhérent du Syndicat de Médecine Générale (SMG), installé depuis une trentaine d’années dans la banlieue de Nantes, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique), dans un quartier populaire, il y a « mieux à faire » que de noter les médecins pour le suivi des diabétiques. « Par exemple, informer davantage les patients sur les risques, leur pathologie et comment vivre avec, me paraît plus pertinent pour leur prise en charge mais également en terme de santé publique ». En Bretagne, le Dr Plouhinec a un autre indicateur en ligne de mire : celui qui encourage la prescription de sartans. « Ce n’est pas la Sécu qui va me dire quoi prescrire, à qui et quand. Je refuse d’entrer dans un tel système. »
Une minorité agissante
Très minoritaires, à peine 500, les médecins généralistes qui ont refusé la ROSP ont souvent un profil bien marqué, mais pas forcément uniforme. On y trouve des syndiqués de l’aile gauche, des engagés dans des travaux de recherche, mais aussi de fervents défenseur d’une médecine libérale… « Cette prime et les objectifs définis pour son octroi me semblent contraires à l’esprit de l’exercice libéral ainsi qu’à l’éthique, à l’indépendance et la liberté du médecin », écrit ainsi Isabelle Luck, une généraliste des Yvelines.
[[asset:image:5466 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u00ab Ils sont intransigeants. Ils vont aller contre leur int\u00e9r\u00eat personnel, ce qui est tr\u00e8s rare. \u00bb"]}]]Ces « frondeurs » sont conscients d’appartenir à une petite frange de la profession. Souvent en fin de carrière, ils sont bien installés et peuvent se permettre « ce luxe » – comme ils le disent – de ne pas toucher cette prime. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. En moyenne, le généraliste touche 4 500 euros par an, avec un maximum de 9 100 euros, c’est deux fois plus que le montant plafond du précédent Capi. « Ce sont des gens pour qui l’éthique dépasse tout. Ils sont intransigeants. Ils vont aller contre leur intérêt personnel, ce qui est très rare. Il n’y a pas d’âge ou de sexe en particulier, le seul déterminant commun, c’est leur engagement. Ils sont prêts à se battre pour une médecine meilleure », explique le Dr Dupagne. Pour sa part, le Dr Plouhinec le dit tout de go : « En refusant la ROSP, c’est clair que je fais une croix sur 6 000-7 000 euros. C’est une grosse perte financière mais je peux me le permettre car je suis en fin de carrière. Je connais des médecins qui avaient refusé au début et qui au final sont revenus dans le rang. Je ne les juge pas. Ils le disent franchement. Ils ont besoin d’argent ».
[[asset:image:5486 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["\u00ab C\u0027est une prise de libert\u00e9 totale. Je me sens libre face \u00e0 mes patients. \u00bb"]}]]Au-delà de l’aspect financier, certains assimilent cette prise de décision à plus de liberté dans leur pratique. Pour le Dr Philippe Masson qui travaille « encore à l’ancienne », seul dans son cabinet, mais pas « rétrograde » pour autant, plaisante-t-il, « c’est une prise de liberté totale. Je me sens libre face à mes patients ». « Vous ne pouvez pas savoir comme c’est agréable de ne plus recevoir les délégués de l’Assurance Maladie et les visiteurs médicaux. Avant, je les accueillais. Aujourd’hui, je ne les intéresse plus. Je suis également pas dérangé par la Cnamts. Au début de mon refus, ils ont un peu essayé et puis ils ont fini par abandonner. Je suis désormais tranquille. »
Et maintenant ?
La nouvelle Convention, en 2016, permettra d’ouvrir la possibilité aux médecins de se positionner à nouveau sur l’adhésion ou non à la ROSP. Ceux qui l’avaient refusé décideront-ils de revenir sur leur décision ? Et, à l’inverse, ceux qui l’avaient accepté feront-ils marche arrière ? « Une fois que les médecins ont touché cette prime, c’est difficile de s’en passer », reconnaît le Dr Dupagne. Le problème, pour ce généraliste parisien, « c’est que les critères vont se durcir petit à petit, mais il sera trop tard, car le médecin sera déjà ferré ». « De plus en plus, les médecins ont un tel dégoût par rapport à tout ce qui se passe qu’ils en sont à se dire : "je prends l’oseille et je me casse". D’autant que les lettres clés ne sont plus augmentées. Les forfaits et les formes de rémunérations de type ROSP sont les seuls gains possibles ». Peu de chances donc que les anti-ROSP fassent des émules… Dans son entourage non plus, le Dr Bernard Plouhinec, pourtant installé dans le département le plus «non-signataire», ne voit pas de nouvelles recrues. « Les conditions financières jouent beaucoup. Il y a un certain nombre de médecins qui attendent que l’acte soit revalorisé. »
Dans un contexte économique difficile, la ROSP constitue – les pouvoirs publics le savent bien – une source de rémunération de plus en plus indispensable pour un médecin, surtout si ce dernier vient de s’installer. Et quand bien même, ces derniers se trouvent les derniers servis dans l’affaire...
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