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Dossier

Dépistage du cancer colorectal

Le « tout généraliste » en question ?

Publié le 09/03/2018
Le « tout généraliste » en question ?

Depistage
VOISIN/PHANIE

À l’occasion de “mars bleu”, la mobilisation autour du dépistage du cancer colorectal est relancée. Avec un taux de participation qui stagne autour de 33 %, celui-ci peine à s’imposer. Pour améliorer les choses, les autorités misent sur le médecin traitant… tout en ouvrant la porte à d’autres circuits pour la remise du test. Mais pour certains généralistes, le frein est avant tout culturel.

Avec près de 45 000 nouveaux cas et 18 000 décès par an, le cancer colorectal reste le second cancer le plus meurtrier en France. Un paradoxe pour une pathologie qui dispose d’un dépistage très efficient en théorie, avec un taux de survie à 5 ans de 90 % lorsqu’elle est détectée à un stade précoce. Mais près de 10 ans après sa mise en place, le dépistage organisé peine à s'imposer et 50 % des cancers diagnostiqués le sont encore au stade métastatique. Le mode d’emploi simplifié du test immunologique OC-Sensor® (ou test FIT pour Fecal Immunological Test), qui a remplacé depuis avril 2015 l’historique Hémoccult® n’a pas réussi à convaincre. Ses bonnes performances en termes de détection de cancers et de lésions précancéreuses, qui viennent d’être confirmées par Santé publique France (voir ci-contre), non plus.
Ainsi, les personnes à risque moyen ciblées par le dépistage sont encore trop peu nombreuses à participer, avec un taux de 33,5 % en 2016-2017, insuffisant au regard du taux minimum "acceptable" européen de 45 % et "recommandé" de 65 %. La hausse est minime (+ 3,5 % par rapport à 2015-2016), malgré les campagnes d’information grand public. Et 54 % des Français persistent à ne pas se considérer comme "à risque" tandis que seuls 53 % sont conscients que les symptômes du cancer colorectal n’apparaissent qu’à un stade avancé.

Avantage au test immunologique

Selon Santé publique France, qui a analysé l’ensemble des dépistages réalisés par test immunologique du 14 avril au 31 décembre 2015, celui-ci permet de détecter 2,4 fois plus de cancers que l’Hémoccult® et 3,7 fois plus d’adénomes avancés. Les cancers sont dépistés plus précocement : 46,5 % de tumeurs de stade 1 vs 38 % avec le test au Gaïac. Néanmoins, aucune donnée n’est disponible en termes de décès évités grâce au test FIT. « C’est à l’étude », assure l’INCa. Réponse avant fin 2018.

Une action prioritaire pour 2018

L’INCa a donc décidé de faire du dépistage du cancer colorectal une action prioritaire pour l’année 2018. Outre de multiples actions grand public, les autorités misent sur le médecin traitant, sachant que neuf personnes sur dix effectuent le test lorsqu’il est remis par leur généraliste. Un constat qui a conduit l’INCa à faire du généraliste le seul intervenant (en dehors des centres de santé) dans la remise du test. « Le généraliste est le plus à même de déterminer parmi ses patients ceux éligibles au dépistage par test immunologique, estime Frédéric de Bels, responsable du département de dépistage à l’INCa. Il peut les informer de manière personnelle, identifier et lever les freins individuels au dépistage. Nous travaillons donc avec le Collège de la médecine générale, afin d’inciter les médecins traitants à remettre plus systématiquement le test, ce qui n’est pas suffisamment réalisé. »

à ce titre, l’INCa s’adresse spécifiquement à eux deux fois par an depuis 2015, par le biais des principaux logiciels d’aide à la prescription et emailing. À terme, il pourrait aussi être envisagé d'envoyer aux praticiens une liste de leurs patients qui ne sont pas à jour. Cette solution a été testée en Loire-Atlantique, avec cependant une très modeste augmentation de la participation au dépistage.

Vers une diversification des circuits de distribution du test ? 

À côté de ces efforts en direction des généralistes, certains défendent un élargissement des circuits de distribution des tests. Les hépato-gastroentérologues (et notamment le Conseil national professionnel d'hépato-gastroentérologie) plaident pour la diversification des professionnels à même de remettre le kit de dépistage. Cette demande a été validée en 2017 par le comité technique de l’INCa, mais seulement pour les professionnels médecins (gynécologues, gastro-entérologues etc.). La rédaction de l’arrêté par le ministère de la Santé est en cours. Quant à l’implication des pharmaciens, un appel à projet de l’INCa vient d’être émis en ce sens en vue d’expérimentations. Autre piste envisagée, l’envoi direct du test de dépistage par la Poste couplé à la lettre de relance pour les personnes qui n’ont pas répondu à l’invitation. Cette modalité d’envoi existait par le passé mais a été abandonnée il y a deux ans. Elle devrait être réintroduite cette année. Selon une étude menée en Ille-et-Vilaine, elle permettrait de passer d’un taux de dépistage de 30 % à près de 50 %.

Envoi ciblé ou non, la question du suivi en cas de test positif se posera. Aujourd’hui, du fait du suivi par le médecin traitant, le taux de coloscopie suite à un test positif est de 85-90 %.
 

 

Pr Vincent Renard : « Un frein surtout culturel et organisationnel »

Parmi les dépistages de cancer, celui du côlon est sans doute l’un des plus consensuels, y compris parmi les généralistes. En 2015, le CNGE avait d’ailleurs salué la diffusion du test immunologique, « plus simple et plus performant ».

Dès lors, comment expliquer le faible essor de ce dépistage sur le terrain ? Pour le Pr Vincent Renard (médecin généraliste et président du CNGE), plus qu’une question de manque de temps ou de difficultés logistiques, le frein est avant tout culturel et organisationnel. « Historiquement en France, on est davantage dans une culture du soin que de prévention. D’où un système de santé assez peu organisé pour le dépistage et dans lequel la société n’a pas conféré ce rôle de manière claire au généraliste. À partir de là, une partie du corps professionnel ne s’en est pas complètement emparé et une partie des patients n’a pas acquis ce réflexe. Nous sommes donc obligés d’être plus volontaristes pour obtenir des résultats car le chaînage ne se fait pas naturellement. »

Dans ce contexte, la mise en place d’une consultation spécifique peut-elle être la solution ? Pas si sûr, répond le Pr Renard, « car on sait que les procédures de prévention, de dépistage et d’ETP sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont intégrées à l’activité de soins habituelle ». Par ailleurs, « ces consultations de prévention drainent surtout les gens qui sont le plus dépistés et qui s’occupent déjà le plus de prévention ». Même réserve pour l’élargissement des circuits de distribution des tests de dépistage, « qu’il faudrait quand même évaluer au préalable dans une population donnée ».

 

Hélène Joubert