Depuis plusieurs années, le salariat gagne du terrain sur le libéral. Dans les déserts comme la Saône-et-Loire (lire p. 12), il apparaît comme la solution pour redonner de l’attractivité aux territoires ruraux. Réelle aspiration pour les jeunes médecins ou échappatoire à une médecine libérale usante pour les plus anciens, le salariat séduit de plus en plus les généralistes.
Le salariat aura-t-il raison du libéral ? La tendance est en tout cas à un net recul du second. Selon une récente projection de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministère de la Santé) sur les effectifs de praticiens en 2040, l’activité libérale baissera de 24 % d’ici à 2027, au profit du salariat et de l’exercice mixte. Les seuls généralistes sont aussi concernés. Dans son Atlas de la démographie, l’Ordre des médecins estimait à 18,7 % le nombre d’omnipraticiens salariés en 2007 et à 37,2 % en 2017, soit près de 20 points en plus sur 10 ans. La moitié exerce à l’hôpital, une part stable depuis une décennie.
Moins de gestion au profit du soin
Une étude publiée par élise Ridard et Dominique Somme en 2018 dans la revue Santé publique a mis en lumière les motivations des praticiens à choisir le salariat dans les centres de santé de Bretagne et des Pays de la Loire. Les médecins interrogés évoquent une moindre charge de travail en centre de santé, liée notamment à l’absence de tâches administratives chronophages. Une approche partagée par le Dr Richard Lopez, ancien président de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) : « Les généralistes ne sont pas formés à être des gestionnaires. Raison pour laquelle certains quittent le libéral. Travailler en centre de santé permet de se focaliser uniquement sur le soin », témoigne le généraliste. La volonté d’une activité uniquement tournée vers le médical figure aussi parmi les critères relevés dans l’étude. Le travail en équipe, le service à la population, la situation géographique du centre de santé ou encore les possibilités de formation professionnelle dans ces structures sont également cités.
La thèse du Dr Elsa Lemaignan sur la qualité de vie des médecins généralistes salariés et libéraux en région Auvergne Rhône-Alpes en 2017 conclut pour sa part que les centres de santé répondent aux attentes des généralistes « non seulement car ils permettent l’exercice en groupe et la décharge de tâches administratives à un secrétariat, mais aussi car ils proposent des conditions d’exercice préservant la qualité de vie ». De plus, la majorité des médecins qui choisissent le salariat sont des femmes : 20 000 contre 12 600 hommes pour les généralistes en 2017, d’après l’Atlas de l’Ordre. Avec la féminisation du métier, le Dr Lemaignan estime que « les centres de santé pourraient répondre à une potentielle demande grandissante de postes salariés liée à la féminisation de la profession ».
Exercice mixte et salarié, un tremplin ?
Dans son Atlas, le Cnom estime que le salariat est davantage une transition qu’un choix pour toute une vie. Il nuance ainsi les chiffres : « Les publications ordinales ont démontré que les jeunes souhaitent exercer en tant que remplaçant ou salarié durant les trois ou quatre premières années suivant leur première inscription au tableau de l’Ordre. Quatre ans plus tard, la représentation de l’exercice libéral/mixte est en moyenne quatre fois plus importante ». Lors de la première inscription au tableau de l’Ordre en 2017, 64,2 % des jeunes médecins privilégient l’exercice salarié et 21,3 % le remplacement, précise l’Atlas.
Le mois dernier, le gouvernement a fait un pas vers le salariat et l’exercice mixte, en promettant 400 postes de médecins généralistes salariés dans les hôpitaux de proximité ou les centres de santé pour répondre en urgence au manque de praticiens dans les zones sous-dotées. Interrogée sur ce sujet, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a affirmé que ce dispositif permettrait de décloisonner les modes d’exercice, et pour les liberaux d’exercer en parallèle une activité à l’hôpital. « Nous sommes l’un des rares pays où il y a une telle dichotomie entre la médecine générale libérale et hospitalière », affirmait-elle dans nos colonnes. Le président de l’Ordre des médecins, le Dr Patrick Bouet, voit lui dans cette mesure « un levier » pour permettre à des jeunes de découvrir un territoire par le salariat avant de s’y installer. Difficile cependant d’obtenir plus de détails sur le recrutement des 400 généralistes salariés dans les déserts, mesure phare du plan santé, ajoutée en dernière minute par l’Elysée mais jusqu’ici absente du budget de la Sécu pour 2019. Sollicité à plusieurs reprises à ce sujet, le ministère de la Santé n’a pas répondu au Généraliste.
Des généralistes comme le Dr Lopez sont toutefois convaincus que l’avenir de la médecine s’écrit avec le salariat. Il voit aussi dans la volonté du gouvernement de privilégier les forfaits à l’acte une voie toute tracée pour ce mode d’exercice. Pour lui, les centres de santé seront les structures les plus adaptées à ces nouvelles rémunérations : « S’il n’y a plus de paiement à l’acte, c’est du salariat », conclut-il.