Le premier à s'en indigner a été Jean-Luc Mélenchon, sans doute parce qu'il ne tenait pas à parler du score de la France insoumise, mais aussi parce que ce taux calamiteux d'abstention lui permettait de reprendre sa vieille antienne, le changement de République. Manière de priver l'actuelle de sa légitimité puisqu'elle n'aurait jamais été gouvernée que par des exécutifs chaque fois mis en échec, ce qui prouverait qu'il y a quelque chose de pourri en République française. Alexis deTocqueville serait épouvanté d'entendre de tels propos, lui qui voit dans le système constitutionnel les garde-fous de la démocratie et le moyen le moins imparfait de vivre ensemble. La Constitution n'est pas une maladie, mais le socle juridique permettant de lutter contre les inégalités. Plus elle est forte, moins on peut la contourner, et, quel que soit le contenu de toute Loi fondamentale, il y aura toujours des hommes ou des femmes qui tenteront de le transgresser.
Autant il faut accepter le verdict des urnes, autant l'abstentionnisme doit être combattu par tous les moyens. Le suffrage universel est une discipline à enseigner avec acharnement et un devoir dont doit s'acquitter tout citoyen. On n'a tout simplement pas le droit de critiquer l'exécutif si on n'est pas allé voter pour en changer. Je me souviens qu'étant petit, je bénéficiais d'un cours de « civique et morale », qui m'intéressait bien plus que la grammaire car il parlait des mes droits et devoirs d'adulte. Manifestement, on n'a pas appris aux enfants français l'importance de leur suffrage, sinon ils préfèreraient l'exprimer et non l'ignorer. Nous en sommes là en 2020, à voir grossir la foule des abstentionnistes parmi lesquels se situent sûrement ceux qui crient le plus fort, qui cassent ou brûlent le mobilier public, qui déversent des torrents de haine, qui prônent la violence et, avant elle, le sarcasme, la moquerie, le mépris de tout ce qui bouge et principalement des bonnes volontés jusqu'à l'affrontement.
Une lutte permanente
Il n'échappe à personne que les accommodements avec le ciel, la corruption en politique, la fraude nourrie par de malsaines ambitions, le cynisme ont porté des coups sévères à notre démocratie. Ce que peu de gens comprennent, c'est que pour faire place nette, pour remédier à ces comportements désespérément humains, il faut étrangler la liberté. C'est parce que la démocratie est généreuse que les cyniques en exploitent les failles. La vigilance doit donc être permanente. Nous disposons de toutes les lois indispensables pour enrayer ces atteintes aux droits et de tous les services pour faire appliquer nos idéaux et nos principes. Ce que les abstentionnistes ne comprennent pas, c'est que, comme la réforme, la surveillance des comportements est permanente et ne souffre d'aucune nonchalance.
On parle beaucoup du monde d'après, on en fait même un superthème politique, le nec plus ultra des actions à venir, des changements à accomplir, des idéaux transformés en réalités. La première tâche, pourtant, qui incombe au prochain gouvernement consistera à lutter avec sévérité contre l'abstentionnisme parce qu'il représente la brèche que les antidémocrates voudront élargir au point de ridiculiser un suffrage qui n'aura plus rien d'universel et de créer une société où les élus perdont toute légitimité. Il s'agit d'un danger au moins aussi grave que le réchauffement climatique. D'une faiblesse dénoncée avec constance par les dictateurs et potentats qui parsèment le monde et s'efforcent de nous expliquer à longueur de journée que leur système de privation de libertés est bien meilleur que celui de la démocratie, qui vieillirait mal. Et pourtant. Pour rien au monde nous ne troquerions nos libertés contre l'ordre autoritaire. Encore faut-il que, collectivement, nous fassions l'effort de les défendre avec assiduité, bonne conscience et détermination.