Ils seront à la fin du mois près de 8 000 à plancher sur les incontournables ECN. Dix ans après sa mise en place, « l’internat pour tous », est-il parvenu à redorer le blason de la médecine générale ? Si l’on en croit les statistiques, elle n’est pas beaucoup plus choisie qu’avant. Mais, dans la tête des étudiants, la discipline n’est plus la mal-aimée qu’elle a longtemps été. Et quand les meilleurs se risquent à ce choix, ce n’est plus sous les sarcasmes... Analyses et témoignages.
Cette année, ils devraient être encore un peu plus nombreux qu’en 2013 ! Un arrêté signé par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, l’été dernier, a fixé à 7 820 le nombre de postes d’internes ouverts pour l’année universitaire 2013-2014, dont presque la moitié (3 799) en médecine générale. Soit 256 postes supplémentaires d’internes en médecine générale en un an (+7,2%). Tous seront-ils pourvus ? C’est, comme toujours la grande inconnue de ces Epreuves Classantes Nationales (ECN).
Depuis la réforme adoptée en 2011 le taux d’inadéquation a tout de même baissé toutes disciplines confondues. Selon une étude de la Direction de la recherche, de l’évaluation et des études statistiques (Drees) réalisée en septembre 2013, 97% des postes ont été pourvus en 2012 au lieu de 90% environ les années précédentes. Le phénomène est encore plus vrai pour la médecine générale. 95% des postes ouverts dans cette discipline ont été pourvus, contre 84% en 2011.
7% parmi les 1 000 premiers
La médecine générale serait-elle donc devenue « tendance » ? Il semblerait plutôt que ces chiffres soient, en réalité, le fait d’un meilleur ajustement réalisé par les pouvoirs publics. Moins de postes ont ainsi été proposés dans la discipline ces dernières années et, donc, moins de postes sont restés vacants. Un autre facteur récent a également joué dans cette progression. En effet, la modification du calendrier de validation empêche désormais les étudiants de redoubler s’ils n’obtiennent pas le choix qu’ils désirent.
Reste que les étudiants très bien classés aux ECN qui décident d’opter pour la médecine générale, ça existe. Depuis plusieurs années, Le Généraliste récompense lors de ses Grands Prix le premier interne à avoir choisi cette discipline : en juin 2010, la lauréate était classé 18e aux ECN, 57e en 2011, 26e en 2012 et 49e en 2013. Effet d’optique ou réel engouement ? Dans son étude, la Drees confirme que la médecine générale recrute comme en 2011 à tous les niveaux de classement. Ainsi, 7% des 1 000 premiers et 15% des étudiants classés entre les rangs 1 000 et 2 000 ont choisi de devenir médecin généraliste en 2012.
En 2013, ils étaient 68 dans les 1 000 premiers et 129 entre 1 000 et 2 000. Des choix précoces que l’on retrouvait à peu près dans les mêmes proportions cinq ans auparavant et que les statisticiens de la Drees expliquent par le grand nombre de postes offerts dans cette discipline. Toujours boudée la médecine générale ? Le fait est qu’elle reste tout de même parmi les disciplines les moins attractives. Le dernier rapport du Conseil National de Gestion – qui organise le concours – relevait que si 24 spécialités sur 30 ont pourvu la moitié de leurs postes ouverts à la moitié du classement... la médecine générale n’en fait malheureusement pas partie. Elle est aussi une des disciplines qui fait le moins voyager les étudiants, sans doute parce qu’il reste des postes dans la plupart des facs : même si une douzaine d’entre elles atteignent les 100% de postes affectés, parmi lesquelles Lyon, Bordeaux, Aix-Marseille, Nice, Nantes et, dans l’ensemble, les facs parisiennes.
La peur de l’inconnu
Alors, qu’est-ce qui manque pour que la médecine générale fasse rêver ? Pour le président du Syndicat national des enseignants en médecine générale (SNEMG), Mathieu Calafiore (photo), si la médecine générale fait encore peur, « c’est surtout parce qu’on ne la connaît pas. Les étudiants évoluent dans un univers très hospitalo-centré. C’est un peu un rendez-vous en terre inconnue lorsqu’ils décident de s’orienter dans cette voie ».
Même constat pour le président de l'InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale, ISNAR-IMG, Julien Poimbeuf, qui souligne que la discipline souffre d’une méconnaissance des étudiants. Le futur généraliste pointe, par exemple, l’absence d’items sur la médecine générale dans les ECN alors qu’il y a des questions posées sur les autres spécialités. Et d’en conclure : « Les étudiants ne sont pas poussés à réviser et à s’intéresser à cette discipline ». Pour d’autres, c’est également l’absence de perspectives qui rend la médecine générale peu attractive. « C’est encore un pari assez osé de devenir généraliste. On peut parler de “peur” car il y a quelque chose d’assez insécurisant. Il y a d’autres spécialités qui offrent un cadre plus sûr avec une carrière
[[asset:image:1286 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]professionnelle à laquelle on peut se destiner », analyse le président du Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG), Théo Combes (photo).
Des a priori persistants
Le manque de reconnaissance fait aussi parti des raisons de ce désamour. Ce responsable syndical, jeune généraliste installé à Gaillac dans le Tarn pointe notamment l’absence de possibilité de coter de la même façon que les autres spécialités. Alors que d’autres regrettent la persistance d’a priori négatifs. Pour sa part, le Dr Calafiore raconte que, lorsqu’il était étudiant en médecine, on entendait encore dans les amphis des phrases prononcées par les enseignants du type « Travaillez bien aux ECN sinon vous finirez généraliste dans la Creuse ». « C’était un peu vécu comme une punition de faire médecine générale », se souvient-il.
Image qui a aussi été brandie comme un repoussoir par certains des professeurs de Julien Poimbeuf(photo).
[[asset:image:1291 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Toutefois, sur le terrain, des signes d’amélioration sont perceptibles. Comme en témoigne le président du SNEMG qui assure que « les mentalités commencent à bouger ». À l’en croire, les étudiants n’ont plus peur de dire qu’ils ont choisi médecine générale.
« C’est vrai qu’avant ce n’était pas très bien vu mais le développement de la spécialité a permis ce changement », avance aussi le président de l’ISNAR-IMG. Un avis que partage également le secrétaire général de l'Inter-Syndicat National des Internes (ISNI), Mickael Benzaki : « Il y a une méconnaissance du métier encore dans certaines facultés mais c’est en train de changer, il y a désormais des établissements qui proposent des modules en soins primaires ».
Les ECN ont changé la donne
Tous s’accordent à dire que le principe même des ECN né en 2004 et la création de l’internat de médecine générale ont de facto participé à redorer le blason de la discipline. Avant, sans internat, point de salut ! La possibilité pour les étudiants de faire un DES de médecine générale leur aurait assuré en quelque sorte une équivalence de niveau avec les autres spécialités.
La multiplication des terrains de stage, le développement de la recherche en soins primaires, l’arrivée d’enseignants en médecine générale et la création de postes de chef de clinique ont sans aucun doute contribué à la faire connaître, mais aussi et surtout à la rendre « respectable » vis-à-vis des confrères des autres départements. « Avoir des enseignants en médecine générale a permis de rendre celle-ci plus visible et à avoir des référents pour les étudiants. Avant ce n’était qu’à partir du troisième cycle qu’on les rencontrait », relève le Dr Calafiore.
De son côté, le Pr Pierre-Louis Druais, président du Collège de Médecine Générale, qui a milité pour la création de la filière universitaire, voit une nette amélioration dans l’appétence des étudiants pour cette récente spécialité, « même si cela reste minoritaire », nuance-t-il. Un effort reste à faire, selon lui, de la part des pouvoirs publics pour améliorer l’encadrement des étudiants et promouvoir les stages. « Pour l’heure, Marisol Touraine répète à l’envi sa volonté de valoriser la médecine générale, mais les moyens ne sont pas au rendez-vous », regrette le généraliste de Port- Marly (Yvelines).