Des chiffres « alarmants » aux conséquences potentiellement « dramatiques ». D’après les résultats d’une nouvelle enquête dévoilés ce mardi 19 novembre par les étudiants en médecine de l’Anemf et les internes de l’Isni et l’Isnar-IMG, les trois principaux syndicats représentatifs des carabins, la santé mentale des futurs médecins est toujours extrêmement préoccupante.
En 2017 puis en 2021 déjà, ces mêmes syndicats étudiants avaient tiré la sonnette d'alarme à travers deux études qui révélaient l’état psychologique fragile d’une part très importante des médecins en formation. Trois ans après la publication de leur dernière enquête, réalisée en pleine période de Covid-19, aucun progrès significatif n'est à signaler, alertent les organisations syndicales, en attente de mesures urgentes.
Légère augmentation des pensées suicidaires
En détail, la nouvelle mouture de l’enquête sur la santé mentale*, à laquelle plus de 8 300 étudiants ont répondu du 10 juin au 28 juillet 2024, permet de mesurer les évolutions sur différents indicateurs. Si les symptômes anxieux (52 %) et de burn-out des externes et internes (65 % vs 66 %) restent stables, une légère hausse s’observe pour les idées suicidaires (passant de 19 % à 21 %). Les épisodes dépressifs « caractérisés » progressent également, atteignant 27 % contre 25 % en 2021.
Par ailleurs, l’étude introduit de nouvelles données préoccupantes : 16 % des jeunes signalent une consommation d'alcool excessive ou à risque et 24 % présentent des symptômes de troubles du comportement alimentaire. Ils sont par ailleurs 19 % à avoir déjà consommé des anxiolytiques au cours des leurs études, 13 % des antidépresseurs et 7 % des somnifères.
Focus sur les violences sexistes et sexuelles
Les trois syndicats à l'origine de l'enquête se sont également penchés sur les origines et les causes de la détresse psychologique des étudiants. Outre les risques psychosociaux connus et documentés liés à leur statut d’étudiant en santé (intensité et temps de travail, contraintes horaires, charge émotionnelle, conflits de valeurs, etc.), de nombreux internes et externes subissent des humiliations ou des violences au cours de leur formation initiale.
Les violences sexistes et sexuelles (VSS) – dont l’Ordre des médecins révélera ce mercredi l’ampleur au sein de la profession – restent un facteur particulièrement aggravant dans le cadre des études médicales, comme le démontre cette nouvelle enquête. Ainsi, 26 % des internes, 19 % des externes et 8 % des étudiants en pré-clinique déclarent avoir été victimes de propos ou d'attitudes à caractère sexuel les mettant mal à l'aise. « Le harcèlement sexiste que j'ai vécu au bloc opératoire quand j'étais externe il y a maintenant quatre ans a impacté mon choix de spécialité. Je ne faisais que des stages de chirurgie ; après ce stage où on m'a humiliée et sexualisée à répétition (comportements habituels dans ce service), je n'ai plus pu me projeter dans le projet de devenir chirurgienne… », confie une interne interrogée dans le cadre de cette enquête.
La moitié des auteurs de VSS sont des médecins thésés
Plus grave , 92 cas de viols, tentatives de viol ou attouchements sexuels ont été rapportés par les répondants, ainsi que 423 autres agressions sexuelles, incluant des gestes non consentis comme des attouchements au niveau des seins ou des fesses ou des tentatives d'embrassades forcées.
Ces agressions se déroulent principalement au sein même de l'hôpital (63 %), lors de soirées étudiantes (23 %), à l’université (8 %) ou dans un autre cadre (5 %). Quant aux auteurs, près de la moitié (49 %) sont des médecins thésés, 18 % d’autres étudiants en médecine, 12 % des internes et 22 % ont d'autres profils.
Ces violences graves s'ajoutent aux humiliations « répétées », qui ont concerné encore 14 % des étudiants, avec des comportements allant des moqueries aux surnoms méprisants en passant par des propos rabaissants. « Un chef connu comme pouvant mettre mal à l'aise m'a insultée en évoquant mon homosexualité, l'équipe m'a recommandé de faire “comme si de rien”, qu’”il est comme ça mais qu'il est un très bon praticien” », rapporte une étudiante de sixième année mentionnée dans l’enquête. Toutefois, sur ce plan des humiliations répétées, il y a du mieux par rapport à la précédente enquête (23 % de jeunes étaient concernés). « On remarque un petit effet positif de nos communications sur les humiliations en stage qui a pu participer à les réduire avec une libération de la parole », relèvent les syndicats.
Valoriser les activités extra-universitaires, une priorité
Reste que cette situation délétère a un impact sur la poursuite des études : environ 10 % des étudiants réfléchissent quotidiennement à arrêter la médecine et 50 % y ont pensé au moins une fois par mois dans l’année écoulée.
Pour tenter de stopper l’hémorragie, les trois organisations syndicales, qui dénoncent « l’immobilisme des pouvoirs publics » formulent à nouveau une série de propositions. Elles réclament en premier lieu la « valorisation des activités extra-universitaires » (qu’elles soient culturelles, associatives, sportives ou syndicales). Autre requête, la mise en place de formations standardisées des étudiants et des enseignants en santé mentale sur la prévention des risques psychosociaux. Il est urgent de sensibiliser systématiquement à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la formation.
Décompte horaire, l’arlésienne
Pendant les stages cette fois, l'application stricte de la réglementation sur le temps de travail des internes (avec décompte horaire) et la formation des responsables à la détection de la souffrance au travail font partie aussi des revendications récurrentes. Il faudrait aussi mettre en œuvre les aménagements de stages pour les étudiants et internes qui en ont le droit en lien avec leur situation personnelle (grossesse, handicap).
Les syndicats insistent enfin sur la nécessité d'un investissement financier pour renforcer les moyens humains dans les établissements de santé, afin de garantir des conditions de travail et de formation adéquates. Le recrutement de personnel hospitalier permettrait aussi de limiter le glissement de tâches, partiellement responsable de la surcharge de travail, exposent les syndicats juniors.
En 2019, dans un rapport ad hoc, la Dr Donata Marra alertait déjà sur l’urgence d’agir pour la santé mentale des étudiants en santé. « Si de nombreuses promesses gouvernementales ont vu le jour par la suite, force est de constater que les financements nécessaires à leur application sont encore attendus cinq ans plus tard, déplorent les syndicats. Pour exemple, la lente création de la coordination nationale d’accompagnement des étudiant·es en santé́ (CNAES) », un dispositif qui n’est connu par quasiment personne…
Les étudiants et internes ont été invités à participer à un questionnaire en ligne conçu avec le soutien méthodologique du Dr Ariel Frajerman, chef de clinique universitaire et assistant hospitalier en psychiatrie, ainsi que du Pr Yannick Morvan, enseignant-chercheur en psychologie. La diffusion du questionnaire a été facilitée par les scolarités, avec l'appui de la conférence des doyens.
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