Au-delà du genre, transcender l’inconnu

Publié le 27/09/2024
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Par Gabriel Giaoui – Interne en chirurgie plastique esthétique et reconstructrice, Gabriel partage son quotidien et ses apprentissages. Dans ce service de chirurgie plastique parisien, le jeudi après-midi n’est pas un jour comme les autres pour l’équipe soignante et pour les patients, qui viennent de toute la France. Il s’agit d’une consultation à thème où ils sont les seuls représentés. C’est la première consultation « trans » de Gabriel.

Crédit photo : DR

Je prends la première fiche patient de la consultation et l’appelle par son nom. Je ne le précède ni de « Madame » ni de « Monsieur », on m’a prévenu. Il rentre dans le box. Il ? Ou elle, devrais-je dire ? Je ne sais pas. Je ne connais pas encore les codes, je suis vigilant. Ne pas commettre d’impair.

La salle d’attente est bigarrée, mélange de couleurs, d’accessoires, de bijoux et de coiffures. L’entrain et la jovialité transparaissent. Une bonne humeur dans une salle d’attente d’hôpital, cela existe-t-il vraiment ? Des presqu’adolescents généralement accompagnés semblent l’être dans la bienveillance. Des patients plus âgés paraissent eux avoir trouvé le secret de jouvence. C’est ma première consultation « trans ».

Comment obtenir sa confiance ?

Ma patiente passe la porte, je lui fais un sourire qu’il me rend aussitôt. Nous prenons place de part et d’autre du bureau. Je la sens enthousiaste de se trouver ici, il a certainement dû attendre plusieurs mois son tour pour accéder à cette consultation. Je dois engager la discussion. Comment obtenir sa confiance ? Celle qui est si précieuse pour mieux comprendre son parcours et souvent si difficile à conquérir. Celle qui peut se perdre au moindre malentendu. Ne pas commette d’impair.

J’allume l’ordinateur, il démarre au ralenti, une mise à jour. Je suis gêné. Mes yeux croisent alors les siens. Nous nous rencontrons. Ses cheveux sont longs. Sa chemise entrouverte laisse apercevoir une fine toison alors que ses mains et ses bras semblent plus vigoureux. Ses yeux sont noircis de maquillage, sa bouche illuminée par une touche de rouge à lèvres. Son visage me trouble. Il me sourit et semble pourtant triste.

Je l’écoute. Je relance, je l’interroge. Son histoire remonte à son enfance. Je pense avoir gagné sa confiance et me faufile d’une date à une autre dans sa biographie. Les détails ne lui font pas peur. Elle est libre et me libère. Je tente une pointe d’humour. Elle rit.

C’est une femme qui vient pour le retrait de ses implants mammaires. Elle se sent trop femme. Son corps et son esprit n’en ont plus besoin pour définir ce qu’elle me dit avoir toujours été. Pour elle, c’est une erreur. Je l’interprète comme un passage de cap, mais suis-je bien légitime pour interpréter ?

Je suis confronté à des patients qui ne me demandent que de les écouter et de les considérer, comme les « autres »

Mes patients du jour seront pour la plupart gais et mélancoliques. Comme un paradoxe. Mais ils ne sont plus à un paradoxe près. La vie qu’ils mènent est souvent un paradoxe qu’ils acceptent tout en le subissant. Ce paradoxe qui ne l’est finalement que pour les autres, nous, les profanes. En fait, ce jour-là je suis confronté à des patients qui ne me demandent que de les écouter et de les considérer, comme les « autres ».

Une consultation qui m’a beaucoup appris

Ce que je vois m’échappe mais pourtant je l’accepte, la médecine n'est pas une science exacte. Leur visage souligne les limites de mon pouvoir de constituer et de connaître. Je suis déboussolé et ma patiente l’a discerné. Elle semble vouloir m’initier à ce monde. Me rendre simples des choses qui me paraissent compliquées. Je vois dans son regard de la bienveillance et elle a l’élégance de ne pas mépriser mon statut d’interne. Celui du sachant qui ne sait rien. Ne pas commettre d’impair ? Et si cette rencontre était l’occasion de réfuter mes a priori et de prendre conscience de mes préjugés que je m’efforce de dissoudre à la première occasion.

Alors qu'une « simple consultation » portant sur le retrait de prothèses mammaires chez une autre patiente ne m'aurait pas autant bouleversé. Je constatais que cette consultation portait en fait sur le « simple retrait » de prothèses mammaires. Pour elle il ne fallait pas chercher bien loin, elle n'en voulait plus, comme cela pouvait arriver avec les « autres » patientes.

On frappe à la porte. C’est ma chef de clinique. Elle jette un coup d’œil et rentre avec son sourire habituel. Durant cette consultation j’ai aussi eu l’impression d’être le patient. J’en ai appris autant que si j’avais été l’un d’eux. Je lui laisse reprendre le fil de la discussion, que nous terminons tous les trois.

Je me retrouve enfin seul. Je vais pouvoir rédiger mon observation. Du moins, si l’écran de l’ordinateur n’affiche plus ce sablier…

Bio express

Gabriel est interne en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique à Paris. Il anime un compte Instagram @lefrench.plastician où il alterne entre vidéos humoristiques et pédagogiques en rapport avec sa spécialité et les études de médecine. Il est par ailleurs auteur de « L’Atout EDN » (éditions Vuibert), livre dans lequel il fournit un support visuel pour préparer les EDN et Ecos. Son ouverture et ses projets n’en finissent pas, il est d’ailleurs toujours partant pour une nouvelle collaboration.


Source : Le Quotidien du Médecin