Ce n'est plus à prouver. En France, les conditions de travail des internes en médecine sont très dégradées. En 2020, l'Intersyndicale nationale des internes (Isni) a ainsi montré que les internes travaillaient en moyenne 58,4 heures par semaine, soit dix heures de plus que le maximum légal fixé par une directive européenne à 48 heures.
Nos voisins européens sont-ils meilleurs élèves et respectent-ils davantage cette obligation ? Pas toujours ! C'est ce que révèle une étude de l'European Junior Doctors, organisation représentative des internes en médecine en Europe – dont fait partie l'Isni –, qui a mené l'enquête auprès de 24 associations étudiantes.
Ladite étude, qui visait à recueillir le ressenti des internes européens sur leur formation, montre que l'adhésion à cette règle varie sensiblement d'un pays à l'autre. Ainsi, si dans les pays nordiques ou dans certains pays d'Europe centrale, cette obligation « est généralement respectée », elle ne l'est pas toujours ailleurs. « Il est clair que nous avons tendance à dépasser ce chiffre dans une large mesure. Nous travaillons entre 60 et 80, voire 90 heures par semaine. Cela ne convient pas à tout le monde, mais pour beaucoup de jeunes médecins, c'est une semaine de travail normale », déclare un des répondants, dont la nationalité est volontairement tue.
Plafond de verre
Dans les spécialités chirurgicales, réputées très exigeantes, les apprentis praticiens « se sentent poussés à dépasser leurs horaires ou à ne pas respecter les périodes de repos afin d'être présents lorsque des techniques peu fréquentes sont réalisées », lit-on. Un consensus émerge sur le temps de travail : « Le surmenage, les horaires de nuit et la surcharge de travail ont des conséquences négatives sur la satisfaction professionnelle et la vie personnelle des internes ». D'ailleurs, « contrairement aux générations précédentes, qui plaçaient le travail au centre de leur identité, les médecins donnent maintenant la priorité à leur famille et à leur temps personnel ».
Autre point soulevé par le rapport : les rémunérations très faibles des internes en dépit des heures supplémentaires travaillées. Dans certains pays, « la plupart des étudiants en formation ont deux ou trois autres emplois car le salaire est bien trop bas pour vivre ». Malgré la féminisation croissante du personnel médical, les médecins en formation continuent d'être confrontés à d'importantes inégalités de genre. Partout en Europe, il existe un plafond de verre pour les femmes qui, en raison notamment d’interruptions de carrière liées à la maternité, accèdent moins souvent à des postes de direction. « Lorsque vous êtes médecin spécialiste en début de carrière et que vous voulez être enceinte, vous vous exposez à ne pas être embauchée », témoigne une future médecin.
Comme en France, les violences sexistes et sexuelles sont aussi monnaie courante, et sont exacerbées dans certains pays jugés très patriarcaux. À ce titre, « les politiques d’égalité existantes dans le cadre européen sont insuffisantes pour lutter contre ces inégalités de genre », estiment les auteurs.
Démissions en hausse
Dans ce contexte peu optimal pour la formation, les représentants d’internes des 24 pays audités partagent un sentiment de malaise et d’insatisfaction vis-à-vis de leur travail. Signe de cette tendance, la hausse des démissions observables dans la majorité des pays, à l’exception des pays nordiques.
Pour infléchir le phénomène et maintenir les effectifs, les auteurs du rapport invitent toutes les nations concernées ainsi que l'Europe à faire de la santé une priorité de leur agenda politique et, dans le même temps, à mieux considérer les professionnels de santé, au premier rang desquels les internes.
Sur le plan des inégalités de genre, des stratégies visant à réduire les différences dans les carrières professionnelles des hommes et des femmes doivent être engagées. Le congé paternité doit être encouragé. Des protocoles de prévention contre la violence institutionnelle ainsi que des mesures pour contrôler et réduire la charge de travail doivent être établis pour améliorer la qualité de la formation, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et, en fin de compte, la satisfaction au travail.
1,7 million de docteurs européens
Le nombre de médecins en exercice a sans conteste augmenté dans l'Union européenne. On comptait 1, 75 million de docteurs, toutes spécialités confondues, en 2020 ; ils étaient 1,3 million en 1990.
Cette augmentation s'explique par la croissance de la population européenne mais aussi, dans certains pays, par l'anticipation des besoins de santé par l'ouverture des études de médecine au plus grand nombre.
Malgré cela, l'ensemble des pays européens font face au défi de la pénurie médicale, notamment dans les soins primaires et dans la santé mentale.
Un médecin en activité sur trois a plus de 60 ans et sera en retraite dans les cinq prochaines années.
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