Comment répondre à la crise de l'accès aux soins, alors que 87 % du territoire français est considéré comme sous-doté et que six millions de Français demeurent sans médecin traitant ? Cette question était au cœur des discussions ce jeudi 6 février lors du 25e congrès de l'Isnar-IMG, qui se tient cette année à Lille.
Pour Bastien Bailleul, interne en médecine générale et porte-parole de plus de 6 000 internes adhérents du syndicat, une chose est sûre : l'état de la démographie médicale et les difficultés d'accès aux soins ne sont pas dus à une mauvaise répartition des omnipraticiens sur le territoire – relativement homogène par rapport à d’autres professionnels de santé – , mais bien au résultat « d'une série de décisions politiques » peu adaptées aux besoins de la population.
La coercition, fausse solution : l'exemple de l'Allemagne et de Québec
« Dans les années 1970, a-t-il contextualisé, les pouvoirs publics estimaient que la France formait trop de médecins, craignant une hausse des dépenses de santé et une baisse des revenus des praticiens. Ils ont donc instauré le numerus clausus, réduisant progressivement le nombre d'admis en médecine jusqu'à atteindre un plancher de 3 500 étudiants en 1993. Face aux tensions sur l'accès aux soins, a-t-il poursuivi, le quota a été relevé à partir des années 2000, mais c’était déjà trop tard (…) car il faut dix années pour former un médecin ».
Plus de vingt ans plus tard, malgré l'entrée en vigueur du numerus apertus en 2021 – qui a relevé de près de 20 % le nombre de places ouvertes –, les effectifs de généralistes ne cessent de diminuer, accentuant une pénurie médicale déjà aggravée par la hausse des demandes de soins liées à l'explosion des maladies chroniques.
Dans ce contexte, le débat sur la liberté d’installation refait régulièrement surface et « de nombreux politiques prônent des mesures coercitives » pour répondre à la pénurie médicale, a regretté le président de l’organisation syndicale étudiante. « Pourtant, l’expérience internationale nous apprend que la coercition est loin d’être une solution. L’Allemagne a tenté de réguler l’installation dès 1993 en empêchant les médecins de s’installer en ville si un certain quota était déjà atteint. Mais cette approche a échoué et les jeunes médecins ont tout simplement préféré d’autres modes d’exercice ». Même scénario au Québec, où des « quotas de médecins » ont été imposés dans chaque région conduisant certains d’entre eux à partir exercer à l’étranger, accentuant encore davantage la pénurie médicale et les difficultés d’accès aux soins.
La contrainte, « impensable » après dix ans d’études
Face à ce constat d’échec, le généraliste en formation a mis en garde contre les effets pervers des mesures coercitives. « Ce que nous avons appris de ces exemples, c’est que la coercition ne fonctionne pas. Elle démotive, ralentit l’installation et pousse même certains médecins à partir, a-t-il insisté. À quoi devons-nous nous attendre si nous continuons à rajouter des contraintes à notre exercice ? Comment ne pas craindre à long terme la fin de la médecine ambulatoire ? », s’est interrogé le jeune professionnel, qui estime que la coercition doit tout simplement « être bannie des politiques de santé » en France.
Preuves ultimes de l'inefficacité de ce type de mesures ? L'exemple de l'Allemagne et du Québec qui, après avoir tenté d'imposer des restrictions à l'installation des médecins, ont fini par faire marche arrière et privilégier des mesures incitatives comme « les primes à l'installation, la revalorisation des rémunérations en zone sous-dotée ou encore les aides financières pour l'équipement et les locaux ». Pour Élise et Jeanne, internes en médecine générale à Nantes croisées pendant le congrès, « il est tout simplement impensable après neuf ou dix ans d’études qu’on nous interdise de nous installer où nous le souhaitons. Si nous avons choisi la médecine libérale, c'est aussi pour cette liberté d'installation », avancent les deux jeunes femmes.
Mais alors comment apporter une réponse durable à la crise de l'accès aux soins ? Pour l’Isnar-IMG, une « approche globale » est indispensable. « Former, accompagner, inciter et soutenir : ce sont ces piliers qui doivent guider notre politique d'attractivité », a affirmé Bastien Bailleul devant une assemblée d'internes attentifs, mais déjà conquis.
Parmi les leviers proposés, l'organisation insiste sur la nécessité de renforcer l'accompagnement des internes et jeunes médecins dans leur projet professionnel. « Il faut développer les guichets uniques, qui simplifient les démarches d'installation, et créer davantage d'antennes universitaires en zone rurale, car un interne formé sur un territoire a plus de chances d'y rester », a développé Bastien Bailleul, insistant sur la nécessité d’aider financièrement les étudiants qui opteraient pour une formation délocalisée, à travers notamment des aides financières pour la mobilité.
Modernité des lieux et exercice coordonné
Enfin, à l'heure où l'exercice médical évolue et où l'interdisciplinarité séduit de plus en plus les jeunes générations, le syndicat plaide pour des conditions de travail attractives et adaptées aux nouvelles attentes des praticiens. « L'attractivité, c'est aussi une question de conditions d'exercice et de modernisation des lieux de soins, a insisté Bastien Bailleul. Les jeunes générations aspirent souvent à une nouvelle manière de pratiquer la médecine (…) elles veulent un exercice coordonné, en lien avec d'autres professionnels de santé, dans des structures adaptées à la réalité de la médecine moderne. »
Autrement dit : des lieux pensés pour répondre aux défis de la médecine moderne et aux enjeux d’accès aux soins. Et si possible sans y ajouter « des contraintes administratives qui ne font qu’éroder l’attractivité du métier », a averti le généraliste, appelant de ses vœux à des mesures concrètes pour soutenir le recrutement d'assistants médicaux et ainsi alléger la charge administrative des cabinets.
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