LE QUOTIDIEN : Vous avez été diplômé de l'École polytechnique en 2022. Pourquoi cette réorientation en médecine ?
Hédi Chaieb : Ce choix est né pendant la crise Covid. À l'époque, j'étais étudiant à Polytechnique et je devais faire un stage. J’ai voulu appliquer ma spécialisation en gestion de données à un cas concret, en lien avec les besoins des hôpitaux pendant la pandémie. J'ai alors travaillé sur la gestion des données hospitalières côté ingénieur, en collaboration avec des médecins sur des projets de recherche liés au Covid. Cela m'a amené à fréquenter les services hospitaliers et à découvrir le quotidien des praticiens. Cette immersion a ravivé mon envie de faire médecine, une vocation que j'avais mise de côté en terminale, car les premières années d'études ne me convenaient pas.
Avez-vous eu des doutes ou des obstacles lors de votre réorientation ?
Cette décision a été pour moi naturelle mais pas toujours bien comprise par mon entourage. Mes parents, par exemple, se sont interrogés sur l’intérêt de recommencer des études longues et difficiles alors que j'avais déjà un bon diplôme et une voie tracée vers un métier stable et bien rémunéré. Même si ma décision était déjà prise, il a fallu les convaincre. Financièrement, c'était aussi un choix fort : renoncer à un bon salaire pour reprendre des études où l'on ne touche un revenu qu'à partir de l'internat. Aujourd’hui je vois mes amis de Polytechnique, qui ont suivi des parcours classiques, très bien gagner leur vie et moi je suis encore étudiant ! Mais je ne regrette pas du tout. Ça a été un sacrifice financier, mais j'ai suivi mon cœur. Aujourd'hui, je suis très heureux de me dire que j'ai choisi cette voie. À mes yeux, il y a peu de métier qui ont autant de sens que la médecine.
Vous avez majoré les 13 classements des dernières épreuves dématérialisées nationales (EDN). Quel a été votre réaction à l’ouverture des résultats ?
J'étais sur une plage au Mexique, sans connexion stable, donc j'avais un peu laissé de côté les EDN. J'ai finalement pu me connecter et quand j’ai découvert les résultats, j'ai d'abord cru à un bug sur la plateforme ! J'ai vérifié plusieurs fois la page pour être sûr que ce n'était pas une erreur. Je m'attendais à un bon résultat, mais pas à être premier dans les 13 classements. Ce n'est qu'après, avec les félicitations de mes proches et un post écrit de mon père sur LinkedIn, que j'ai commencé à mesurer l'ampleur de l'exploit. Le post a fait 500 000 vues, et là, ça m'a un peu frappé. J’ai pris conscience de tout ça petit à petit.
Vous avez pu bénéficier d'une passerelle. En quoi cela consiste ?
La passerelle pour intégrer médecine en deuxième ou troisième année est assez méconnue, mais de nombreux étudiants, venant d’horizons variés comme la pharmacie, le droit ou les écoles de commerce, en bénéficient. Ils sont souvent très épanouis, car leur projet est bien réfléchi et préparé. À Polytechnique, la quatrième année se fait généralement à l'extérieur de l'école, souvent à travers un master 2. J'ai choisi un master en méthodologie de la recherche clinique, que j'ai suivi parallèlement à ma troisième année de médecine, ce qui m'a permis de valider mon diplôme d’ingénieur.
Pensez-vous que votre parcours vous a aidé à majorer les EDN ?
Ma formation d'ingénieur et mon expérience des concours m'ont donné une approche différente. Les EDN ne se limitent pas à des connaissances théoriques : il faut savoir les hiérarchiser, les critiquer et comprendre les attentes des concepteurs de sujets. En sortant du moule traditionnel de la médecine, j'avais une perspective un peu différente qui a pu m’aider. Cela dit, les matières que j’ai étudiées avant, comme les maths ou la physique, ne m’ont pas aidé plus que ça. Je pense que la classe préparatoire m’a appris à travailler de manière intense, bien plus que je ne l’ai fait en médecine. C’est vraiment là que j’ai acquis la rigueur du travail.
Avez-vous une méthode de travail qui pourrait aider d'autres étudiants ?
Je n'ai pas de méthode secrète, juste celle qui me correspond, pour l’essentiel un bon sommeil et du sport. Chacun doit trouver la sienne, en expérimentant et en se remettant en question si nécessaire. L'essentiel est de rester constant, de travailler régulièrement et de garder du plaisir. Si les résultats suivent, c'est que la méthode fonctionne. Bien dormir est essentiel. Une heure de sommeil vaut mieux que quatre heures de travail. Personnellement, j'ai besoin de repos 8 à 9 heures par nuit. Le week-end, je m’accordais des grasses matinées, parfois jusqu’à midi si besoin, pour récupérer de ma semaine de stage (ou de mes sorties). Il est également crucial de garder une vie équilibrée. Même pendant la préparation du concours, je faisais du sport, comme le foot le soir, et je passais du temps avec mes amis. Cela m'aidait à rester efficace pendant la journée, avec la motivation de savoir qu'il y avait une récompense le soir. Ce principe de carotte et de bâton m'a permis de maintenir ma motivation et de travailler sereinement pour être prêt le jour J.
Avez-vous utilisé des outils spécifiques pour emmagasiner
les connaissances ?
J'apprécie particulièrement l'apprentissage par logique, comme l'idée de comprendre une maladie un peu comme une histoire. Pour les choses les plus difficiles à retenir, j’utilisais des outils comme les ancrages [pédagogie permettant la mémorisation durable, au fil du temps, d’informations apprises, NDLR] sur la plateforme Hypocampus, similaires à l’appli Anki. Cela consistait à revoir régulièrement certaines questions pour les mémoriser. J’ai aussi utilisé la plateforme EDN.fr qui propose de nombreux entraînement et annales. Quand j’allais en stage en scooter, j’écoutais aussi des podcasts de médecine, comme « L’externe », « NéphrOdio », ou les podcasts des Conférenciers de Lille. Avant de dormir, j’ai aussi remplacé les réseaux sociaux par 30 minutes d'ancrages. Pour les Examens cliniques objectifs structurés (Ecos) de mai, je vais aller en stage pour absorber le plus de connaissances possible et me préparer au mieux à l’internat. À Paris-Cité, on a aussi toutes les deux semaines une après-midi de stations d’Ecos pour nous préparer. Je le fais aussi avec des camarades de manière hebdomadaire.
Si vous conservez votre classement après les Ecos, vous aurez un large choix de spécialités. Laquelle visez-vous ?
Mon choix est fait depuis quelques mois, voire presque un an maintenant. J’aimerais me tourner vers l'anesthésie-réanimation. Au début de mes études de médecine, chaque fois que je faisais un stage, je me disais que je ne voulais pas faire cette spécialité. Cela m'est arrivé plusieurs fois, jusqu'à un stage en réanimation qui m'a vraiment plu. C'est là que je me suis dit : « Enfin une spécialité qui me correspond ! » Ma sœur, interne en anesthésie à Marseille, m'a également conforté dans cette voie. Je souhaiterais garder un volet recherche et, si possible, rester à Paris pour la suite.
Comment comptez-vous faire converger la médecine avec l’ingénierie ?
En France, il y a peu de liens entre la médecine et l'ingénierie, mais je pense qu'un profil avec ces deux compétences peut créer des synergies, notamment dans la recherche. Mon parcours d'ingénieur me permet de mieux comprendre les modèles appliqués à la médecine, par exemple en ce qui concerne l'intelligence artificielle, qui, bien qu'encore imparfaite, représente un axe d'évolution pour la pratique médicale. En plus de ça, l'une des plus grandes forces de Polytechnique, c'est le réseau. Il y a beaucoup de gens intéressés par les solutions technologiques dans le médical. Grâce aux contacts avec mes anciens camarades, je pourrais plus facilement créer des synergies entre ces deux mondes.
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