Quelles leçons tirer de la réforme de l’accès aux études de santé quatre ans après sa mise en œuvre ? Pour la Cour des comptes, le constat est sans appel. « Nous sommes très loin de la simplification attendue […]. La Cour estime que la réforme n’a pas atteint ses objectifs », a déclaré Nacer Meddah, président de la 3ᵉ chambre de la Cour, lors de son audition devant la commission des affaires sociales du Sénat, mercredi 11 décembre.
Missionnés par la chambre haute, les Sages de la rue Cambon se sont penchés sur le sujet sensible de la réforme du premier cycle, instaurée à la rentrée 2020 et critiquée pour son manque de lisibilité et ses dysfonctionnements. « C'est un sujet majeur, d'autant plus qu'il concerne chaque année plus de 40 000 nouveaux étudiants », a précisé Nacer Meddah.
Numerus apertus, des résultats plus que contrastés
Durant son audition, le rapporteur est revenu sur la suppression du numerus clausus, une mesure phare de la réforme. Bien que l'augmentation globale de 20 % des effectifs ait été prévue avec le numerus apertus, les résultats restent contrastés. « Le nombre de médecins et dentistes formés a effectivement augmenté mais les filières pharmacie et maïeutique souffrent d'un déficit d'attractivité, avec des places vacantes à l'issue des choix des étudiants », a-t-il souligné.
Concernant la médecine, la répartition des praticiens reste encore inégale malgré la réforme. « Certaines régions qui étaient déjà bien dotées en médecins, comme l'Occitanie ou l’Auvergne-Rhône-Alpes, ont bénéficié des plus grandes augmentations ». Point regrettable, d'autres régions, comme les Hauts-de-France, la Normandie ou le Grand-Est, qui n'étaient historiquement pas bien dotés, ont bénéficié d'augmentations trop modestes. « À l’évidence, bien que ces nouvelles modalités permettent une meilleure prise en compte des besoins territoriaux, elles nécessitent encore des ajustements pour se stabiliser et se rationaliser », a résumé Nacer Meddah.
Pour répondre à ces défis, la Cour des comptes recommande plusieurs ajustements, notamment la création expérimentale de voies d'accès post-bac en pharmacie et maïeutique afin d'améliorer l'attractivité de ces filières. Une révision du statut de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et de ses moyens, jugés « très faibles », est également nécessaire pour lui permettre de remplir ses missions.
D’une fac à l’autre, trop d’hétérogénéité
Revenant point par point sur les objectifs initiaux de la réforme du 1er cycle, le rapporteur de la Cour des Comptes a rappelé que les nouvelles voies d'accès, le PASS (Parcours d'accès spécifique santé) et la L.AS (Licence accès santé) visaient à corriger les défauts de la PACES sur quatre aspects : améliorer la réussite et le bien-être des étudiants, favoriser leur progression, diversifier les profils et développer des passerelles entre les filières de santé.
Pour les Sages, les objectifs sont loin d’être atteints et les modalités d’accès restent beaucoup trop complexes et stressantes pour les candidats. « Dans ce système, des étudiants de différentes filières (sciences de la vie, psychologie ou droit) se retrouvent en compétition pour accéder aux formations MMOP. Afin de départager ces candidats, un système d'interclassement a été mis en place à partir de retraitements statistiques des notes et des classements dans chaque licence. Vous voyez qu'on est loin de la simplification attendue », regrette-t-il, critiquant au passage les décriés oraux.
Malgré les intentions affichées, plusieurs défis subsistent du côté des facultés. Car la réforme a été appliquée de façon hétérogène, compliquant considérablement le pilotage. « D'une université à l'autre, la mise en application des textes n'est pas la même », souligne le rapport. Les parcours L.AS, impliquant la collaboration de deux UFR, ont engendré des « difficultés organisationnelles, culturelles et calendaires », créant une grande insatisfaction chez les étudiants.
Un taux d’échec trop élevé incitant les départs à l’étranger
Pour le mesurer, les magistrats ont réalisé un sondage auprès de 3 000 étudiants. Il en ressort que 53 % des inscriptions en L.AS sont subies par ceux qui ont choisi ce parcours par défaut, contre 5 % seulement pour les PASS. « La nécessité de suivre des enseignements hors santé est souvent mal comprise », souligne Nacer Meddah.
Par ailleurs, si une légère amélioration dans la progression des études est à noter depuis la réforme, celle-ci reste limitée. Deux ans après leur première année, 63 % des étudiants ont perdu une année d'étude, contre 79 % avant la réforme.
Cette progression masque d'importantes disparités selon la voie choisie, le modèle universitaire et la discipline, notent la Cour. Par exemple, les étudiants en L.AS avec une mention très bien ont un taux d'accès en MMOP de 31 %, contre 60 % pour ceux en PASS.
Les étudiants en LAS semblent aussi moins bien préparés à la suite de leurs études et redoublent davantage. Face à la difficulté de la première année, près de 10 % des étudiants non admis font le choix de poursuivre leurs études dans d'autres pays européens, principalement en Espagne, Roumanie, Belgique et au Portugal. « La réforme a pu aggraver la situation », analyse Nacer Meddah.
Diversification des profils : un bilan décevant
Autre case qui n’a pas été cochée selon les experts : la diversification des profils. Sur ce sujet, là encore, le bilan est « décevant ». Comme l'a souligné Nacer Meddah, « les étudiants admis en cursus MMOP en 2023 présentent des caractéristiques sociales similaires à ceux d'avant la réforme », avec même une légère tendance à l’homogénéisation.
La diversification géographique, favorisée par l'ouverture de nombreuses L.AS dans des universités sans UFR de santé, n'a pas produit les effets attendus. Souvent situées dans des villes plus petites, ces universités devaient offrir un meilleur accès aux étudiants issus de la ruralité. Mais les conditions d'études insuffisantes dans ces établissements rendent l'accès à MMOP faible, révèle le rapport.
Vers une voie d’accès unique pour la rentrée 2026
Devant les difficultés du système actuel « qui pénalise les étudiants et menace l'attractivité des formations médicales », les magistrats proposent un changement radical. « Le statu quo n'est plus possible, a insisté Nacer Meddah. Sans un remède rapide, il sera trop tard ! » La Cour des comptes préconise, à l’instar des doyens, la création d'une voie unique d'accès aux études de santé après le baccalauréat, et ce dès la rentrée 2026. « C'est l'option la plus crédible mais cela ne signifie pas un retour à la situation antérieure », a rassuré Nacer Meddah.
Cette nouvelle voie unique pourrait combiner une majorité d'enseignements en santé, une mineure hors santé pour préparer la réorientation et un fonctionnement sous forme de portail offrant un accès aux filières santé ou à d'autres cursus du premier cycle. Ce parcours serait géré par une unique UFR en santé. Seule cette approche, insiste la Cour, peut répondre aux deux enjeux initiaux de la réforme : réorienter et simplifier.
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