En 2014, 58 567 étudiants étaient inscrits en PACES, la première année commune aux études de santé, pour 7 497 « places » en médecine. Soit un taux de réussite de 12,8 %. Cette année encore, il est d’ores et déjà certain que le numerus clausus en laissera de nouveau un bon nombre sur le carreau. Cette sélection drastique interroge depuis quelques années. Au point qu’aujourd’hui des voix s’élèvent parmi les experts, qu’ils soient médecins, économistes, juristes ou politiques, pour revoir ce dispositif. À côté des plus extrêmes, favorables à l’abandon pur et simple du numerus clausus, d’autres préconisent plus raisonnablement de le revoir. Parfois de fond en comble.
281 087 praticiens inscrits au tableau
L’Hexagone n’a jamais eu autant de médecins. Selon les données de l’Ordre, 281 087 praticiens étaient inscrits au tableau, en 2014. Et, pourtant, nombre de territoires manquent de professionnels, le plus souvent des généralistes, mais la pénurie n’est pas loin de toucher toutes les spécialités. On compte beaucoup de médecins en activité, mais toujours insuffisamment nombreux sur le terrain. Une situation paradoxale dont l’origine remonte au numerus clausus ? Certains ne manquent en tout cas pas de rendre responsable cet outil de régulation des maux que connaît notre pays en terme de démographie médicale. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples. Notamment parce que le numerus clausus a connu d’importantes fluctuations au fil du temps qui rendent difficile l’analyse de son efficacité.
« La difficulté tient à ce que l’effet ne se fait pas sentir immédiatement, étant donné qu’il y a 10-12 ans d’études et qu’ensuite il faut attendre en moyenne 5 ans avant que les médecins s’installent », explique le Dr Jean-François Rault, président de la section « santé publique et démographie médicale » de l’Ordre. Autrement dit, « les effets de l’augmentation décidée dans les années 2000 se feront sentir à compter de 2020 », précise-t-il. Il n’en reste pas moins que, pour Antoine Leca, directeur du centre de droit de la santé d’Aix-Marseille, « les pouvoirs publics ont néanmoins failli à leur obligation de vigilance en ne prenant pas en compte la métamorphose de la démographie et de l’activité médicales ».
Car, au-delà de l’évolution des besoins de santé liée au vieillissement de la population et à la multiplication des affections chroniques, il convient de prendre en compte des éléments nouveaux ou auparavant sous-estimés.
À commencer par le nombre d’internes qui, leurs études achevées en bonne et due forme, s’orientent vers une carrière loin des cabinets médicaux. « Chaque année, pas moins de 25 % des médecins diplômés d’une faculté française décident de ne pas s’inscrire à l’Ordre pour exercer d’autres professions, dans le journalisme ou l’administration par exemple, au détriment du soin », note ainsi le CNOM dans sa présentation de l’Atlas de la démographie médicale 2015.
Une profonde évolution des modes d’exercice
Et c’est pour ne rien dire de la profonde évolution des modes d’exercice. Un point sur lequel le Dr Daniel Wallach revient dans son ouvrage sur le numerus clausus. Selon le profil type du praticien des années 1970 qu’il a esquissé, il s’agissait très largement d’hommes ayant travaillé de 30 à 70 ans à raison de 60 heures par semaine et 48 semaines par an. Un schéma qui n’a plus grand-chose à voir avec l’exercice de la médecine aujourd’hui où les professionnels, de plus en plus féminins, exercent leur activité de 38 à 65 ans à un rythme de 35 heures hebdomadaires, 44 semaines par an. Une modification profonde du temps de travail d’ailleurs inhérente aux nouvelles générations, hommes et femmes confondus, assurent d’ailleurs les experts.
Alors que certains s’échappent du milieu médical leur diplôme en poche, d’autres, quand ils se réorientent pas vers une autre filière après deux échecs à intégrer la deuxième année de médecine en France, s’expatrient. « Un nombre considérable d’excellents étudiants en médecine (…) ne sont pas admis en seconde année et renoncent à leur vocation », regrette le professeur de droit Leca, auteur d’une contribution « Le numerus clausus médical : un système absurde et unique qui génère des dérives croissantes ».
Dans cet article publié en juin 2014 dans la Revue de droit médical, le Pr Leca montre comment « depuis quelques années, les étudiants français contournent le numerus clausus en allant se former dans d’autres universités de l’Union européenne », avant de revenir exercer dans l’Hexagone. Inversement, des praticiens étrangers viennent s’établir en France. L’Ordre relève ainsi dans son Atlas annuel que « le nombre de médecins titulaires d’un diplôme obtenu hors de France ne cesse d’augmenter depuis 2007 (+42,7 %) ». Sans toutefois que ces arrivées ne résorbent d’ailleurs les déserts médicaux…
Une sélection injuste
Entre le manque de professionnels, la possibilité pour les détenteurs de diplômes étrangers de venir exercer en France et l’attrait de l’étranger chez les étudiants pour se former, faire table rase du numerus clausus pourrait être tentant. Antoine Leca plaide, dans une certaine mesure, en ce sens. À ses yeux, la sélection à l’entrée en seconde année est injuste car « elle exclut les candidats qui ne sont pas portés par une coûteuse préparation privée ». Qui plus est, « l’idée de fixer au niveau central de l’État le nombre d’étudiants admis en seconde année de médecine est une aberration intellectuelle, socialement génératrice d’injustices, contraire à l’autonomie des universités ». Un réquisitoire virulent qui l’amène à suggérer de « sortir d’une régulation strictement hospitalo-centrée ».
Défenseur d’une organisation décentralisée et souple, il précise que « la meilleure consisterait à autoriser les facultés de médecine à fixer librement ce chiffre en le proportionnant aux capacités de formation des CHU, des autres établissements de santé qui concourent au service public hospitalier… et éventuellement des cabinets médicaux privés ». Et de concéder, tout de même, que « le plus grand risque que pourrait comporter l’abrogation pure et simple du numerus clausus serait de voir exploser le nombre d’étudiants en seconde année, si les UFR concernées opéraient des choix laxistes ».
« Des accusations qui ne sont pas fondées »
À la Conférence des Doyens, on n’est pas de cet avis. « Les accusations portées à l’encontre du numerus clausus selon lesquelles il est inadapté et qu’il n’y a pas assez de médecins ne sont pas fondées », tranche le Pr Jean-Pierre Vinel. Pour le président de la Conférence des doyens, il est essentiel de distinguer numerus clausus et démographie médicale, « ce sont deux choses différentes et rien ne dit qu’en augmentant le premier, on résoudra les problèmes démographiques ». Et, à ceux qui reprochent la brutalité de la sélection en médecine, qu’il ne nie pas, il souligne que « globalement, le taux de réussite en L3 de toute autre filière universitaire est à peu près le même que pour la PACES ». Pragmatique, il rappelle que « quelle que soit la filière, une sélection se fait ». À ceci près qu’« en médecine, elle s’opère en première année mais ensuite les étudiants sont assurés d’arriver à un diplôme à valeur de métier ».
Favorable à une « réflexion sur la pertinence du nombre d’étudiants pour chaque spécialité », Jean-François Rault est, lui aussi, plutôt sceptique à l’idée de supprimer le numerus clausus. « C’est bien d’ouvrir les vannes, mais les facultés doivent pouvoir absorber le surplus d’étudiants », tempère-t-il. « À Lille, l’université est à la limite de la saturation au niveau des bâtiments, ajoute le généraliste nordiste, il faut aussi qu’il y ait suffisamment d’enseignants à l’hôpital et à la ville ». Cet aspect matériel lié aux amphis et structures universitaires n’a pas échappé au Pr Jean-Pierre Vinel pour qui il faut également « tenir compte des capacités de formation à l’université » et des contraintes suscitées par l’organisation des stages. Selon lui, « les stages ne sont possibles qu’avec un nombre raisonnable d’étudiants ».
Réfléchir à des solutions au niveau européen
Autant d’obstacles surmontables aux yeux d’Olivier Véran qui en veut pour preuve l’exemple de la faculté de Grenoble où un système de DVD a été mis en place en première année, remédiant aux problèmes d’exiguïté. Membre du comité de pilotage de la Grande conférence de santé, il a également quelques idées pour démultiplier les offres de stage : permettre aux établissements privés d’accueillir externes et internes, prévoir des stages chez les spécialistes libéraux pour tous les internes, accorder aux praticiens hospitaliers la possibilité d’encadrer des stages…
Aux yeux de l’ancien député socialiste, il est moins question de supprimer le numerus clausus que de s’interroger sur son utilité. Compte tenu des flux de médecins et « dans le contexte européen, le numerus clausus, censé restreindre le nombre de médecins, n’a plus de sens », soutient celui pour qui la solution viendra d’une réflexion au niveau européen. Et du développement des pratiques avancées. « Cela doit être réfléchi et non pas fait à la hâte », ajoute-il, prenant pour exemple le cas des sages-femmes. Des propositions qui rouvrent un autre débat : celui de la délégation de tâches…
Conventionnement collectif et fléchage des installations
En attendant de voir cette piste éminemment sensible retenue, un autre débat pourrait s’inviter dans la réflexion. Car toucher au numerus clausus, c’est forcément poser la question du conventionnement sélectif ou du fléchage des installations. À sa façon, le député PS Gérard Bapt a versé sa contribution au débat. Il propose de repêcher environ 10 % des reçus-collés à la première année de médecine, à condition que ces quelque 750 étudiants s’engagent à s’installer dans des zones fléchées par les autorités sanitaires, indépendamment de leur rang de classement aux ECN.
Initialement pensé pour la filière de médecine générale, le mécanisme comporterait également des choix d’internat dans des spécialités déficitaires, dans une enveloppe fermée, précise le député PS de Haute-Garonne. Loin d’être arrêtée, cette suggestion a vocation à être débattue dans le cadre de la conférence nationale de santé, assure l’élu cardiologue. Cet assouplissement ne devrait toutefois pas concerner les étudiants à peine rentrés sur les bancs de la fac. Pour ces derniers, il reste d’ailleurs près de trois mois à patienter avant de connaître le numerus clausus 2016…
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