On déplore souvent que les généralistes, refusant de s’installer à la campagne, aggravent le problème des déserts médicaux. Il existe pourtant de jeunes praticiens décidés à exercer en rural… mais à certaines conditions.
C’est devenu le cauchemar des élus ruraux, l’obstacle sur lequel ils butent en permanence pour améliorer le quotidien de leurs administrés : comment attirer un généraliste, si possible jeune, sur leur territoire ? Aides financières, cabinet clé en main, logement de fonction, les édiles se creusent la tête pour faire venir la perle rare chez eux. À tel point qu’on pourrait croire les nouvelles générations de praticiens complètement rétives à toute idée d’installation rurale. Il existe pourtant de nombreux généralistes fraîchement diplômés qui, tous les ans, franchissent ce pas. Quitte à bousculer au passage certaines idées reçues.
Car bien que formatés par de longues années d’études effectuées surtout dans les grandes villes, les jeunes généralistes ne se sentent pas tous taillés pour la vie urbaine. « J’ai vécu en ville pendant mes études, et je n’avais qu’une hâte, retrouver le confort de vie qu’on a ailleurs », avoue ainsi le Dr Maxence Pithon, qui s’est installé il y a quelques mois à Langeac, en Haute-Loire. Le Dr Agathe Lechevalier, installée en 2019 à Saint-Lys, en Haute-Garonne, met aussi en avant une aspiration ancienne pour l’exercice en milieu rural. « Mes parents étaient médecins généralistes à la campagne, j’ai donc vu comment cela se passait, témoigne-t-elle. J’avais envie de ce genre de travail, d’être proche des gens, de faire partie d’un village où tout le monde se connaît… »
De son côté, le Dr Bénédicte Gal, installée depuis 2017 au Vigan, dans le Gard, met l’accent sur le double charme de la médecine rurale. « C’est chouette d’avoir un jardin, de pouvoir avoir des loisirs en extérieur, estime-t-elle. Et côté médical, on voit des choses plus variées que quand on est proche des urgences et des spécialistes. Dans les villes, les gens viennent moins souvent voir le généraliste pour un frottis ou des points de suture. »
Ode au travail en équipe
Mais si certains jeunes généralistes éprouvent une soif de ruralité, ce n’est certainement pas pour exercer comme leurs aînés. Ils ne se reconnaissent pas vraiment dans le modèle du médecin de campagne exerçant en cabinet individuel, sans secrétariat, toujours prêt à se rendre dans les coins les plus reculés pour des visites à domicile. Leur maître mot : le travail en équipe. « Quand je suis arrivée ici, j’ai réappris à aimer la médecine, j’avais le temps d’écouter les patients, j’étais dans une ambiance conviviale et je me sentais en sécurité au sein d’une équipe », confie le Dr Aude Vandenbavière, installée début 2020 à Bugeat, en Corrèze, au beau milieu du plateau de Millevaches. Celle-ci estime qu’elle aurait « pu adhérer au travail en ville » mais qu’elle a cédé au « combo gagnant d’une campagne magnifique et d’une équipe dynamique, pluriprofessionnelle et très portée sur l’innovation ».
Il n’y a pas de secret : Aude, Agathe, Bénédicte, Maxence… tous ces jeunes praticiens exercent ou vont exercer en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) ou en pôle de santé. C’est aussi le cas du Dr Alexandre Didelot qui, depuis qu’il a passé sa thèse (sur les MSP !) en 2018, partage son temps entre l’enseignement à la faculté de Nancy et l’exercice dans la MSP de Revigny-sur-Ornain, dans la Meuse. « L’exercice collectif, c’est vraiment ce qui m’intéresse : créer des projets d’équipe, des protocoles de soins, échanger avec mes collègues sur des situations complexes, cela me paraît important, énumère-t-il. Sans compter le confort de vie, car vous pouvez toujours vous arranger avec vos confrères pour qu’ils vous prennent vos urgences de l’après-midi si vous avez une demi-journée de formation, par exemple. »
Le temps, ça se partage
Le travail en équipe permet en effet aux jeunes généralistes de bien mieux gérer leur temps que les générations précédentes, que l’on a trop souvent vues s’épuiser à la tâche avec des journées à rallonge et des semaines trop rarement entrecoupées de dimanches sans garde. Que ce soit pour enseigner, mener des recherches, s’impliquer dans des activités associatives ou tout simplement pour profiter de la vie, les jeunes généralistes ruraux tiennent à garder un équilibre salutaire entre leur activité médicale et le reste de leur existence. C’est ainsi qu’on ne trouvera Maxence Pithon à son cabinet de Langeac que deux jours par semaine. Le reste de son temps, il est occupé par son poste à la faculté de médecine de Clermont-Ferrand. Même équilibre du côté d’Agathe Lechevalier, qui n’est à son cabinet de Saint-Lys que 3,5 jours par semaine : les autres jours, elle les consacre notamment à ses activités syndicales.
Bénédicte Gal, au Vigan, a poussé cette logique encore plus loin. Elle s’est installée avec son conjoint, lui aussi généraliste, et ils se partagent le temps au cabinet de manière paritaire : trois journées pour l’un, trois journées pour l’autre. « Nous avons trois enfants, donc quand l’un d’entre nous est au cabinet, l’autre peut s’en occuper, se félicite-t-elle. On ne travaille qu’à 50 %, et même si cela reste un mi-temps de médecin, cela nous offre un certain équilibre. »
Avaler des kilomètres
Non contents de ne pas suivre les pas de leurs aînés dans l’exercice solitaire et ultra-intensif du métier de médecin de campagne, les jeunes généralistes s’en démarquent aussi dans le choix de leur lieu d’habitation. Car pour eux, il n’est pas indispensable d’habiter à la campagne pour exercer à la campagne. C’est ainsi qu’Alexandre Didelot habite à Nancy, à environ une heure et demie de son lieu d’exercice. Agathe Lechevalier, elle, habite à Toulouse, à 40 minutes de son cabinet. « C’est quand même plus pratique d’habiter en ville quand on veut aller au théâtre ou acheter des vêtements », souligne-t-elle.
On n’est donc pas obligé de renoncer à toute vie culturelle quand on choisit d’exercer hors des centres urbains. Mais le choix d’avaler des kilomètres pour pouvoir travailler n’est pas toujours guidé par l’envie de conserver une certaine vie culturelle. C’est aussi parfois un compromis permettant au conjoint d’être, lui aussi, à une distance raisonnable de son lieu de travail. Le Dr Clément Conan, installé en 2019 à Talloires, au sud-est du lac d’Annecy, en Haute-Savoie, habite de l’autre côté du lac. Ce qui permet à sa compagne, qui exerce au centre hospitalier Alpes-Léman, beaucoup plus au nord, de se rapprocher de son hôpital. « On a environ 30 minutes de trajet chacun », explique le généraliste.
Rompre l’isolement
Reste que, pour ceux qui choisissent d’habiter à l’endroit où ils exercent, la question de l’isolement demeure primordiale. Une question qu’Aude Vandenbavière, à Bugeat, a résolu d’une manière toute personnelle. « J’habite en colocation, nous sommes entre huit et dix jeunes dans une sorte de mini-internat, explique-t-elle. Il y a des professionnels de santé, mais aussi des charpentiers, des chefs de projet… Je pense qu’il est essentiel de développer des espaces où les soignants ne soient plus seuls dans les campagnes, où ils ne se retrouvent pas en tête-à-tête avec leur téléphone quand ils rentrent d’une grosse journée de travail. »
La jeune généraliste voit même dans ce type d’habitat l’une des solutions aux problèmes d’attractivité médicale que connaissent les territoires ruraux. « C’est quelque chose qu’on souhaite développer, pour héberger des remplaçants, des internes, dans une ambiance conviviale où ils n’ont pas à se soucier du logement, détaille-t-elle. D’ailleurs, ceux qui passent par le plateau de Millevaches sont tous émerveillés. » Et qui sait si cet émerveillement ne pourrait pas, au moins dans certains cas, se traduire en volonté d’installation ?
Quelles aides à l’installation en rural ?
L’installation en zone rurale permet de bénéficier de soutiens financiers, à commencer par des aides conventionnelles, notamment :
• le contrat d’aide à l’installation des médecins (Caim), aide de 50 000 euros pour une installation en zone déficitaire,
• le contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins (Coscom), d’un montant de 5 000 euros par an et destiné à ceux qui s’engagent dans une activité pluriprofessionnelle en zone déficitaire,
• le contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM), qui offre aux médecins installés hors zone déficitaire, mais y ayant une activité ponctuelle de type vacation, une majoration des honoraires réalisés.
Les aides à l’installation en zone sous-dense proposées par l’État ont quant à elles été fusionnées et simplifiées : le contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), le contrat de praticien territorial médical de remplacement (PTMR), ou encore le contrat de praticien isolé à activité saisonnière (Pias) ont ainsi cédé la place au contrat de début d’exercice (CDE). Celui-ci garantit au nouvel installé un revenu minimum si ses honoraires ne dépassent pas un certain plafond fixé par arrêté (pour 9 demi-journées d’exercice en MG, ce plafond a pour l’instant été fixé à 8 500 euros mensuels).
En plus de l’Assurance maladie et de l’État, de nombreuses collectivités territoriales offrent des aides aux jeunes médecins : renseignez-vous auprès de votre commune, de votre conseil départemental ou de votre conseil régional !