Monsieur le Ministre de la Santé,
Vous avez raison d'être réservé sur cette proposition de loi des députées Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (LREM) pour passer l'IVG de 12 à 14 semaines.
Moi, je suis frappé par tout ce dévouement de personnes très compétentes pour sauver ces bébés prématurés ou en souffrance, à un coût non négligeable (3 000 euros la journée de réanimation). J'ai participé à la réanimation de ces nourrissons. La santé n'a pas de prix, mais elle a un coût. Je suis aussi impressionné d'apprendre qu'en 2019, 232 200 IVG ont été réalisées, soit environ une pour trois naissances. On observe une hausse des IVG dans la tranche d'âge de 25 à 39 ans, car la méfiance augmente envers la pilule. Plus de quarante ans après sa dépénalisation, le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est toujours aussi important en France. Il est deux fois plus élevé qu’aux Pays Bas. Il est essentiel de rassurer sur la contraception qui présente beaucoup de bénéfices par rapport aux risques, essentiellement vasculaires.
Je suis critique sur cette loi pour passer l'IVG de 12 à 14 semaines, votée ce jeudi matin 8 octobre par 86 députés sur 577 que compte l’assemblée. En dernière minute le Conseil de l'Ordre des médecins s'oppose à cette loi. Il déplore en particulier la disparition de la clause de conscience spécifique aux interruptions volontaires de grossesse. C’est une question délicate. Il y a un an, La précédente ministre de la santé, Agnès Buzyn s’était opposée à un projet similaire d’allongement du délai d’accès à l’IVG, porté alors par les socialistes.
Des professionnels de santé inquiets
Les professionnels de santé, de leur côté, affichent déjà leur hostilité à une telle mesure. Ils contestent, tout d’abord, les comparaisons internationales avancées par les associations féministes qui mélangeraient, selon eux, deux régimes. « En Espagne ou aux Pays-Bas, certes le délai d’IVG est plus long qu’en France, mais il n’y a pas dans ces pays d’interruptions médicales de grossesse (IMG), comme il en existe en France, commence le professeur Nisand, président du Collège national des gynécologues obstétriciens. Ici, la loi Veil distingue nettement les deux situations et autorise les IMG jusqu’à la fin de la grossesse, en cas de danger pour la vie de la mère ou de malformation grave pour l’enfant à naître. Rien de tel là-bas. »
Selon lui, un allongement des délais d’IVG ne changera rien à l’affaire, bien au contraire. Il anticipe même qu’un allongement de deux semaines va décourager certains praticiens à pratiquer les IVG, au détriment des femmes. « Ce fut déjà le cas en 2004, lors de la précédente extension du délai. Jusqu’à 30 % des médecins avaient alors cessé de pratiquer des IVG, rappelle-t-il. Or passer de douze à quatorze semaines de grossesse est un changement d’une tout autre ampleur que celui réalisé à l’époque. Cela signifie très concrètement des actes beaucoup plus durs à réaliser ».
À ce stade de développement, seules les IVG chirurgicales sont possibles, soit en déclenchant une fausse couche, soit en pratiquant une opération sous anesthésie générale pour la mère, poursuit le médecin. Le professeur Nisand refuse d’euphémiser pour raconter en quoi consiste l’opération : « La tête du fœtus est ossifiée et il faut l’écraser. Le geste lui-même est donc terrible pour celui qui le fait et pour la patiente".
« Plusieurs raisons peuvent expliquer ce retard, admet Sarah Durocher. Ce n’est, tout d’abord, pas si simple pour de nombreuses femmes, encore aujourd’hui, de se rendre compte qu’elles sont enceintes. Elles n’écoutent pas beaucoup leur corps. Parfois, la grossesse a aussi révélé des tensions dans le couple, et aboutit à une séparation. » La psychologue Anne Mortureux, qui a travaillé vingt ans pour le planning familial, confirme aussi que la décision de recourir à une IVG, quel soit le délai, n’est jamais facile à prendre. « Certaines mettent du temps à trouver un gynécologue, mais ce n’est pas le cas de toutes celles qui arrivent à la limite du délai, loin de là : c’est parfois d’abord le chemin de la décision qui est lent et difficile. »
Elle dit avoir rencontré des femmes très partagées, touchantes dans leur décision de renoncer à leur grossesse. « C’est parfois déchirant de les entendre. Un cas assez typique est une jeune femme qui sait que, d’un point de vue pratique, il n’est pas possible de garder son enfant, mais retarde ce moment. En tant que psychologue, je dirais que la décision d’IVG n’est pas matérielle mais intime, et je ne suis pas complètement convaincue que certaines ne vont pas attendre quand même la fin du délai, même si celui-ci est rallongé. » Depuis plusieurs années pourtant, les lois successives vont dans le sens d’un allègement des procédures et de l’écoute. Ainsi, le délai de réflexion a été supprimé en 2004 alors qu’il permettait de mûrir pleinement un acte qui n’est jamais anodin, rappelle la psychologue. (Journal La Croix).