« 96 h de travail en une semaine. 26 jours travaillés d’affilée. 13 gardes en un mois. Pensées suicidaires : nombreuses. Burn-out : 1 » alerte sur Twitter Olivia Fraigneau, présidente de l’Association des Jeunes Médecins Urgentistes expliquant sa participation à la grève des internes mi-juin. La jeune praticienne sait parfaitement de quoi elle parle : « J’ai été arrêtée deux fois pour burn-out. La première fois, une semaine. Parce que malgré un stage superbe, la fatigue cumulée du premier semestre m’avait laissé des séquelles, » explique-t-elle. Et si l’administration et les responsables des services hospitaliers ont un rôle évident dans les risques psycho-sociaux, elle tient à aborder avec « Le Quotidien » un angle qu’elle a découvert sans l’avoir anticipé : celui du manque de solidarité entre internes. Quand j’ai annoncé mon arrêt à mes co-internes les seuls messages que j’ai reçus concernaient l’organisation : "mais du coup, on doit te remplacer ?" Et quand je me suis plaint que personne ne s’inquiète de comment j’allais, de ce qu’il m’arrivait, on m’a reproché d’avoir annoncé mon arrêt trop tard et d’avoir sciemment mis mes co-internes en difficulté. Je n’ai pas évoqué le burn-out après ces mots. Comment aurais-je pu ? ».
Olivia a ensuite changé de stage sans prolonger son arrêt : elle voulait faire face, être à la hauteur. Mais rattrapée par des horaires à rallonge, des gardes sans fin, des reproches qui tendaient vers l’humiliation, elle a fini par aller très mal. « J’ai pleuré au travail et la première réaction d’une de mes co-internes a été "tue comptes pleurer longtemps ?"; et ils se sont plaints de mon hyperémotivité auprès de mes chefs. Allant de plus en plus mal, j’ai été arrêté une nouvelle fois, presque trois semaines. Quand je l’ai annoncé, un seul de mes collègues m’a demandé comment j’allais, je n’ai eu aucun message des autres. Quand je suis revenue, mes co-internes parlaient de mon arrêt de travail en utilisant le terme "vacances" en me mettant à distance car eux avaient dû "encore plus travailler" pour compenser mon arrêt ».
Burn-out, épilepsies, grossesses
D’autres internes interrogés par « Le Quotidien » racontent des histoires similaires. Franck, dont l’épilepsie a été diagnostiquée en cours d’internat dans les suites d’une fatigue trop intense est désormais exempté de gardes sur décision médicale. « Mon certificat datant de 2020, mes nouveaux co-internes en ont exigé un nouveau car pour eux, je profite de ma maladie pour leur laisser "le sale boulot", c’est-à-dire les nuits », explique le jeune homme.
Pour Anne Charlotte, c’est l’annonce de son arrêt anticipé en cours de grossesse qui a fait problème. « "J’espère que ton semestre ne sera pas validé" m’ont annoncé mes co-internes, ajoutant : "tu nous as mis dans la merde. Déjà avant ton arrêt on finissait à 19 h 30, maintenant ça va être 22 h tous les jours". Pour eux, j’aurais dû anticiper et prendre un stage en surnombre non validant (choix de stage optionnel qui ne permet pas de valider un semestre). J’ai même eu des menaces d’une co-interne qui était en début de grossesse : "si je perds non bébé à trop travailler à ta place ce sera ta faute" ».
Pauline, jeune urgentiste, a elle aussi souffert de l’attitude de ses pairs. Avec l’arrivée dans la formation de la phase de Docteur Junior, il est indispensable d’être thésé avant la fin de l’internat. Une mission à haut risque d’épuisement psychologique. « J’ai été le témoin d’une dynamique inversée au cours de mon internat : plus on avance dans les stages, moins on est solidaires. Chacun ne pense plus qu’à lui (sa thèse, sa carrière, sa vie de famille) et le burn-out est vécu comme une affection contagieuse dont il faut absolument se tenir éloigné. Quand je me suis arrêtée, mes co-internes ont absolument voulu savoir quelle était la cause et ils m’ont demandé de reprendre de façon anticipée. Quand j’ai tenté de reprendre, épuisée physiquement à la fin de mes gardes et pour éviter d’avoir un accident de voiture en rentrant chez moi, j’ai demandé à dormir dans le bureau des internes ce qui n’a pas été accepté. »
Pour Olivia Fraigneau, « finalement, c’est toujours la même histoire. Les gens dont nous partageons le quotidien sont ceux qui nous aident le moins dans ces situations. Pire, des gens censés être empathiques et à l’écoute font preuve de méchanceté. L’individualisme gagne quand les internes se battent intellectuellement entre eux pour des postes de chef de clinique, de praticiens hospitaliers… » Et cette militante de s'exclamer : « Soyons au moins solidaires entre internes. Tant que cette solidarité n’existera pas, les conditions de travail des médecins en formation resteront délétères et les internes les plus « faibles » seront sciemment mis à part par leurs pairs ».
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