Portée disparue à Montpellier mi-octobre, une étudiante de cinquième année de médecine a mis fin à ses jours. Un cas loin d'être isolé. On déplore, chaque année, à Lyon, Marseille ou Dijon, une dizaine de suicides d'étudiants et surtout d'internes. Épuisement professionnel, dépression, harcèlement…: le bilan de la santé mentale des futurs médecins est alarmant. La semaine dernière, à l'occasion d'un colloque à l’Assemblée nationale, en présence du ministre de la Santé, une vaste étude sur les risques psycho-sociaux dévoilée par les syndicats et associations étudiantes est encore une fois venu le confirmer.
Après une première enquête en 2017 — la première du genre —, celle-ci a été réalisée auprès de 11 700 étudiants, tous cycles confondus. Et la situation s'aggrave : alors qu’ils étaient déjà 62 % à témoigner de symptômes anxieux en 2017, ils sont désormais 75 % à en faire état. Par ailleurs, 39 % des futurs médecins rapportent des symptômes dépressifs dans les sept jours précédant le questionnaire, soit 12 points de plus que lors de la précédente étude. Plus grave, 19 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires.
« Ces chiffres me donnent la nausée », réagit Laurence Marbach, dont la fille, interne, s’est suicidée par overdose médicamenteuse en 2019. « Derrière les chiffres, il ne faut pas oublier ces visages. Ce sont les visages de notre médecine », souligne Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), qui a réalisé cette étude en collaboration l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) et l’Intersyndicale nationale autonome représentative des Internes de médecine générale (Isnar-MG). « À chaque fois que l’un d’entre eux tombe, des centaines de patients en pâtissent », insistent les organisations étudiantes.
Charge de travail et humiliations
Pour la première fois, les structures des jeunes — dont les travaux ont été approuvés par la conférence des doyens de médecine — ont également mesuré l’ampleur de l’épuisement professionnel chez les jeunes. Et, là encore, le bilan est affligeant : 67 % des externes et des internes rapportent des signes de burn-out. Une proportion qui baisse à 39 % pour les étudiants de 1er cycle. « Les gardes de 24 heures, voire plus, sont épuisantes et nuisent clairement et objectivement à notre santé psychique mais aussi physique d’autant que les moyens techniques donnés pour assurer notre travail sont vraiment indignes », témoigne un interne répondant dans l'enquête.
Celle-ci a également permis de mettre en lumière les facteurs de risques associés aux épisodes dépressifs caractérisés, dont 25 % des étudiants déclarent souffrir. Difficultés financières, humiliations, harcèlement, agressions sexuelles, mais aussi temps de travail supérieur à 50 heures par semaine pour les internes et à 20 heures pour les externes, apparaissent comme les critères déterminants dans la survenue de dépression.
Toujours l'omerta
Enfin, l'autre nouveauté de cette enquête de grande ampleur est qu'elle documente les agressions subies au quotidien par ces futurs médecins. Aussi, 25 % d’entre eux rapportent du harcèlement, 23 % des humiliations et 4 % des agressions sexuelles.
Plus grave, les violences sexuelles et sexistes se passent au sein même de l’hôpital dans les trois quarts des cas. « L’hôpital est un lieu d’omerta, ajoute Nicolas Lunel, président de l’Anemf. Et ces violences viennent toujours, en grande majorité, d’un supérieur hiérarchique ». Selon l’étude, 60 % des agresseurs sont des médecins thésés, 13 % des internes. Une étudiante de 2e cycle témoigne ainsi : « À deux reprises j’ai eu des médecins hommes un peu trop tactiles de type massage sans autorisation, évidemment main sur la cuisse et des comportements de type clin d’œil, regards insistants… Ces comportements m’ont mise mal à l’aise. »
Le constat est d’autant plus amer qu'il est ancien et que les pouvoirs publics s'étaient emparés de la question. Deux ans après la première enquête des structures jeunes, la ministre Agnès Buzyn commandait un rapport au Dr Donata Marra. Il en était ressorti quinze recommandations soulignant l'urgence d'agir contre les risques psychosociaux, comme la création du Centre national d'appui à la qualité de vie des étudiants (CNA). Pourtant, quatre ans plus tard, force est de constater que rien ne semble avoir changé. Le bilan de santé mentale des carabins n'a même jamais été aussi inquiétant.
Le CNA n'a « pu être financé que très tardivement, quelques mois avant la clôture de la lettre de mission qui l’instituait », déplorent les organisations étudiantes. À l’évidence, les victimes d’agressions sexistes et sexuelles ne s’y retrouvent pas et les chiffres parlent d’eux-mêmes : elles ne sont que 0,6 % à se tourner vers ces dispositifs de signalement.
Fini les promesses
Après trois ans d'espoirs, ponctués d'annonces gouvernementales, le temps des promesses est révolu. « Il n’est plus entendable de ne pas agir ! », martèle Mathilde Renker, présidente de l’Isnar-MG. Pour les organisations des juniors, la crise sanitaire ne peut être rendue seule responsable d’une telle dégradation. Elles pointent du doigt « le grand nombre de réformes en cours » et l'« entrave » à la promotion de la qualité de vie des étudiants. Une entrave symbolisée par le manque de moyens humains et financiers alloués aux différents dispositifs. « Par exemple, la création d’une plateforme téléphonique n’a jamais été suffisamment financée, malgré plusieurs annonces ministérielles », illustrent-elles.
Dans ce contexte, Olivier Véran a défendu, devant les jeunes, les réformes des études médicales en cours, qui permettraient selon lui « de diminuer la pression et le bachotage ». Au printemps dernier, le ministre avait également promis de réaliser une enquête sur le temps de travail des internes, dont les résultats devraient être rendus public mi-novembre. « Sur le temps de travail, on demande simplement le respect de la loi : pas plus de 48 heures par semaine », martèle Laurence Marbach. Une requête de longue date.
Sacrifice des jeunes
La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche s’est elle aussi déclarée « pleinement déterminée » à lutter contre ces violences. Frédérique Vidal a notamment annoncé un plan d’action de 7 millions d’euros pour l’ensemble des filières supérieures afin de lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Dans les semaines à venir, un vade-mecum pour sensibiliser les encadrants de stage aux risques psychosociaux sera publié, promet-elle.
Suffisant pour les étudiants ? Les organisations réclament davantage de cellules locales de soutien et un accompagnement personnalisé des stagiaires au sein des services. « Nous souhaitons des instances de signalement indépendantes, pour mettre fin au copinage, et pour que les histoires ne soient plus enterrées », plaide Nicolas Lunel. Alors que, pour la première fois, des terrains de stage considérés comme maltraitants ont perdu leur agrément cet été, les représentants des étudiants souhaitent taper fort et « infliger des sanctions aux établissements et aux services en cas de non-respect de la législation ». Olivier Véran a promis « des sanctions financières à l’horizon 2022 pour les services qui ne respectent pas le temps de travail ».
Améliorer la santé mentale des carabins passera sans doute par une évolution de la mentalité hospitalo-universitaire, qui entretient le mythe de l’interne fort et corvéable à merci. « Ceux qui se sont suicidés n’étaient pas fragiles, avance Laurence Marbach. Ils ont été fragilisés par un système, où ces violences sont institutionnalisées, banalisées, Tout le monde accepte le sacrifice de jeunes médecins en formation ».
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