« J’espère que vous sortirez d’ici en étant convaincus que le rapport humain est aussi important que la dose de propofol que vous administrez ». Devant une centaine d’internes en anesthésie-réanimation, le Pr Mathieu Raux, coordinateur du DES d'anesthésie réanimation médecine périopératoire (ARMPO) à Sorbonne Université, donne le coup d’envoi d’une après-midi consacrée au savoir-être des futurs médecins. Un séminaire inédit organisé dans les locaux de l’hôpital Saint-Antoine à Paris (AP-HP) pendant deux jours.
Ce 23 janvier, c’est Marwan Mery qui mène la danse. Celui qui se présente comme « un négociateur professionnel » affirme avoir géré des centaines de tentatives de suicide, kidnappings ou prises d’otage. Sur les dix dernières années, le fondateur d’ADN Group a aussi formé 2 000 médecins — des cardiologues, neurologues, urgentistes, etc. — à appréhender des situations délicates et à l'art de « négocier » avec leurs patients notamment pour « améliorer l’observance thérapeutique ».
Patient agressif
D’entrée de jeu, l'expert plonge les juniors dans le bain des tensions et des invectives de couloirs hospitaliers. Le négociateur a choisi son sujet : il jouera un patient agressif et réfractaire qui veut « absolument parler au chef de service », un classique pour les carabins. Le négociateur désigne une interne et débute le jeu de rôles. Devant ses camarades, la future anesthésiste se débrouille bien, garde son calme, fait preuve de maîtrise émotionnelle et tente de conduire son patient fictif à la désescalade. Mais la jeune femme commet aussi quelques erreurs. « La cheffe de service n’est pas disponible pour le moment », « Pourquoi voulez-vous la voir ? », se défend-elle. « D'un côté, il ne faut pas donner au patient de faux espoirs, ni tenter de se justifier. Mais de l'autre, il ne faut pas lui dire non, ça clôture la discussion, c'est trop frustrant », lui conseille le négociateur.
« Ça veut dire qu’on laisse tout passer au patient ? », interroge une junior en fond de salle. « Non », répond le négociateur qui préconise plutôt, lors d’une situation tendue, de reformuler les idées du patient, de l’encourager à s’exprimer — « c’est-à-dire ? » — en le poussant à répondre le plus souvent par l’affirmative. « Il doit garder le sentiment de contrôler la situation », résume le professionnel. Petit conseil pour éviter l’exaspération : éviter « je comprends », trop creux, et préférer « je ne suis pas à votre place, mais je ne peux qu’imaginer ».
« Ce n'est pas vous la cible »
Invités à participer à cet atelier collectif, certains juniors s’avouent « peu à l’aise pour gérer un patient agressif ». D'autres redoutent les insultes. « C’est pourtant ce qu’il se passe sur le terrain », avertit Marwan Mery. « Lorsque vous êtes insulté, ce n'est pas vous la cible, c’est l’hôpital, le système », rassure-t-il, conseillant « d’attaquer le comportement du patient, mais jamais son émotion ». « Ce n'est jamais contre nous, les familles sont souvent en plein débordement émotionnel », abonde la Dr Emmanuelle Dolla, cheffe d'unité adjointe au déchocage de la Pitié Salpêtrière, habituée à gérer des proches en détresse.
En matière de délivrance de médicaments, le négociateur invite les jeunes à ne pas se lancer dans une joute verbale stérile ou à contre-argumenter. Lors d’une initiation de traitement, « si le médecin essaye à tout prix de convaincre son patient, ça échoue », explique Marwan Mery, qui voit plutôt dans l’entretien thérapeutique une négociation « où l’on cherche à induire le changement ».
Lui-même ancien élève de la formation, le Pr Mathieu Raux l’assure, « ces méthodes m’ont permis de me sortir de certaines situations très compliquées ». La discussion bien conduite « permet de renforcer la relation entre le soigné et le soignant, en donnant à chacun des clés pour mieux se comprendre, atteindre l’objectif commun du soin le plus adapté à l’état et à la volonté du patient », affirme-t-il.
Posture hermétique
Au-delà, cette approche permet de se démarquer de « beaucoup de confrères qui n’ont pas la bonne méthode, ne sont pas de bons modèles pour les internes », explique la Dr Emmanuelle Dolla. Elle dénonce certaines manières de communiquer archaïques — « façon docteur House » — qui ne sont plus acceptables. « Beaucoup de médecins que j’ai formés n’ont jamais eu d'enseignement sur la relation au patient, ils étaient encore dans une posture hermétique de sachant », abonde Marwan Mery. Pour le négociateur, « les jeunes sont plus ouverts, ici on leur donne des armes pour la suite ».
À la sortie de l’atelier, obligatoire dans leur cursus, les internes en première année se montrent plutôt satisfaits de cette respiration dans des journées de stages hospitaliers très chargées. « Ça change ! », confie l’un d’eux. L’équipe espère qu’une piqûre de rappel pourra être faite en fin de troisième cycle. « Désormais, avance le Pr Raux, il vous reste cinq ans pour vous poser la question de votre comportement ».
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