Briser le tabou de la santé mentale : c'est la requête de l'ensemble des étudiants en santé face aux « chiffres alarmants » et aux « témoignages qui affluent ».
Dans le cadre de leur campagne #PronosticMentalEngagé – qui dénonce les conditions d'études dégradées et le mal-être croissant – les étudiants et internes en santé* ont adressé une lettre ouverte intitulée « Moi, étudiant en santé, J'accuse ». Ils y dénoncent sans fard « la détresse psychologique touchant nombre d'entre nous », « l'omerta qui règne à l'hôpital », la « maltraitance en stage » et les « drames dont chaque année nous sommes les témoins impuissants ». Ils accompagnent cette missive d'un rapport d'une soixantaine de pages au sein duquel ils détaillent une centaine de recommandations.
Le diagnostic est sévère : en dépit des beaux discours, peu de choses ont vraiment bougé depuis la grande enquête de 2017 sur la santé mentale fragile des étudiants en santé. « Les mesures annoncées ces trois dernières années ne sont, soient pas à la hauteur, soient pas mises en place, résume Jeanne Dupont Deguine, membre de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). La crise sanitaire a encore dégradé la situation. Avec ce rapport on remet une couche pour que ça bouge. »
Nouveaux formats
De fait, pour sortir de l'ornière, les associations étudiantes formulent une centaine de recommandations. Côté formation théorique, les juniors réclament des modules spécifiques sur la santé mentale, le repérage des discriminations ou la relation soignant/soigné. « Tous les étudiants en santé, quelle que soit leur filière, sont voués à se retrouver face à des patients en situation de mal-être. Or, ce mal-être affecte directement les étudiants, souvent non entraînés à y faire face », notent-ils.
Les cours magistraux en amphi sont à nouveau épinglés. Pour les carabins, la pédagogie devrait intégrer davantage de travaux pratiques et d'enseignements par petits groupes afin de favoriser les interactions. Le cursus devrait inclure systématiquement la prise en charge de patients fictifs avec l'aide de patients experts ou de professionnels de santé. Autre proposition : en finir avec le système de partiels semestriels, source de stress, au profit d'un contrôle continu. Le suivi du projet professionnel devrait être intégré tout au long du cursus pour que les jeunes « puissent se projeter dans leur future profession ».
Violences : numéro vert national
Côté stages, toutes les filières plaident pour un encadrement accru (a fortiori en période de crise sanitaire) et pour la diversification des terrains hors hôpital. Les étudiants considèrent que les formations de management doivent se généraliser. « Ça commence à prendre mais le plus dur c'est de l'appliquer sur le terrain ! », précise Morgan Caillault, président des internes de médecine générale (ISNAR-IMG).
Dénigrement, humiliation, harcèlement : la « maltraitance » en stage reste très présente. Les thèses des Drs Amélie Jouault et Sara Eudeline publiées en octobre sur la banalisation de la violence, notamment dans les hôpitaux universitaires, l'ont encore rappelé. « On veut du concret, insiste Jeanne Dupont Deguine (ANEMF). Il existe beaucoup de cellules d'accompagnement et d'écoute à différents endroits, il faut tout recenser sur le CNA pour aider les étudiants à s'y retrouver ou créer un numéro vert national accessible 24h/24 pour tous. » Les fédérations se prononcent aussi en faveur d'une plateforme pour évaluer l'ensemble des terrains de stage, faire remonter les situations de violences et signaler les événements graves.
L'épine du temps de travail
Le strict respect du temps de travail et des engagements financiers est un autre impératif. Le repos de sécurité reste trop aléatoire, certains étudiants ne sont pas rémunérés pour les lignes de garde ou astreintes. « Ces situations fréquentes sont exacerbées par la crise mais persistent depuis trop longtemps », insistent les associations.
Ces derniers mois, nombre de services sous tension n'ont pas hésité à remplacer des praticiens par des étudiants. Ces « situations d’exercice illégal » se sont même « généralisées », accusent les jeunes. Ils réclament des sanctions contre les hôpitaux hors-la-loi et une visite médicale de synthèse à chaque changement de statut des étudiants (externat, internat, assistanat). Les fédérations souhaitent enfin la création d'un recueil national de données sur les suicides, le burn-out ou le taux de fuite au cours des études de santé.
*ANEMF (médecine), ANESF (sages-femmes), ANEPF (pharmacie), ANEP (psychomotricité), FFEO (orthoptistes), FNEA (audioprothésistes), FNEO (orthophonistes), FNEK (kinés), FNEP (podologie), FNESI (infirmières), Unaee (ergothérapie), UNECD (chirurgiens-dentistes), ISNAR-IMG (internes).
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