L’annonce a « profondément choqué » la conférence des doyens de médecine. Le 27 janvier, le maire d’Orléans a révélé avoir signé un accord avec l'école de médecine de Zagreb pour implanter une antenne locale dans la ville du Loiret !
En théorie donc, dès la rentrée 2022, une cinquantaine d’étudiants français pourront étudier à Orléans, tout en étant rattachés à cette faculté privée croate. « Il n'y a plus le temps d'attendre et de faire des ronds dans l'eau, c'est une question de vie ou de mort », a carrément lancé le maire d’Orléans, Serge Grouard, selon « La République du Centre ». Dès le printemps donc, les futurs carabins pourront passer un concours, que la mairie du Loiret promet « très sélectif », pour espérer intégrer la fac de Zagreb.
Après avoir d’abord cru à une mauvaise blague, des sources étudiantes contactées par « Le Quotidien » évoquent une décision « absurde » et « invraisemblable ». Ni les fédérations étudiantes, ni les doyens, ni le ministère de l'Enseignement supérieur n’ont été contactés en amont, selon nos informations. « Les tractations ont été conduites en marge des responsables des deux universités de la région », tonne la conférence des doyens.
12 000 euros l'année
Au lendemain de cette nouvelle, les doyens de médecine expriment leur « indignation et leur ferme opposition au marchandage de la formation médicale ». Du « mercantilisme », à leurs yeux, car une seule année de formation dans l’antenne orléanaise de Zagreb devrait coûter la bagatelle de 5 000 à 10 000 euros, selon le maire de la ville. Voire 12 000 euros annuels, si on se réfère aux tarifs appliqués en Croatie. Serge Grouard rassure et promet des « aides financières » pour les étudiants les plus modestes.
Les futurs carabins devront également prévoir quelques allers-retours en Croatie, bien que le protocole n’ait pas encore été fixé. Les enseignements seront dispensés en anglais, par visioconférence en direct de Zagreb pour les cours magistraux, ou en présentiel pour ceux assurés par des intervenants locaux. Là encore, Serge Grouard assure que des hospitaliers français sont déjà partants pour rejoindre l'aventure.
Que vont devenir ces carabins ?
Calquée sur les enseignements croates, la conférence des doyens craint une dégradation de la formation médicale. « Notons que des disciplines aussi essentielles que l’immunologie par exemple ne font pas partie de l’enseignement obligatoire », souligne-t-elle. L’allergologie ou certaines branches de la cardiologie non plus.
Du côté des sources étudiantes, on s’inquiète déjà du diplôme qui sera délivré et du devenir des carabins. « Ils ne seront pas diplômés en France, ils devront passer devant une commission pour espérer obtenir une place dans une spécialité, ou passer les ECN en auditeur libre… », imagine un représentant syndical étudiant.
Piégés
« Il y avait déjà eu un essai de création d’une université privée d’origine portugaise il y a quelques années, a réagi le Pr Didier Samuel, doyen de la faculté de médecine de Paris-Saclay. Les étudiants qui s’étaient inscrits s’étaient retrouvés bloqués, parce que les ministères n’avaient pas donné leur aval, ce qui fait que les étudiants se sont retrouvés piégés ».
Quid, également, de la formation pratique, alors que nombre de terrains de stage sont pleins à craquer ou manquent à l’appel. Là encore, le maire d’Orléans aurait prévu le coup. « La formation pratique aura lieu au CHR d'Orléans mais aussi dans les hôpitaux de Montargis, Pithiviers et Gien, ainsi que dans les cabinets des médecins en ville », rapporte la « République du Centre ».
« Une première »
Cardiologue et député du Loiret (LR), Jean-Pierre Door accueille en revanche la décision « de façon très favorable, il faut tenter l’expérience ! ». « Oui, il y aura de la place en stage, garantit ce vendredi le député au "Quotidien". À Montargis, l’hôpital n’accueille pas d’internes en permanence et ils sont prêts à les accepter, les cliniques et les maisons de santé aussi ».
Face aux critiques, le maire d’Orléans évoque de son côté « une première en France », « quelque chose de très novateur » et « dans l’intérêt général », pour lutter contre les déserts médicaux.
De fait, le Centre-Val de Loire reste l’une des régions les plus sinistrées en matière de démographie médicale. Le densité de médecins généralistes y est très inférieure à la moyenne française. « L’objectif est de faire en sorte que les étudiants formés localement s’installent ensuite sur place, et qu'ils n'aillent pas étudier en Roumanie », recadre Jean-Pierre Door. « On sait très bien que les seuls territoires qui sont épargnés par la désertification sont ceux qui sont près d’une faculté ou d’un CHU », ajoute le député du Loiret.
Coup de pression des élus
Du côté des opposants à cette fac privée, on évoque « un coup de pression politique », avec comme but avoué de faire bouger rapidement les lignes. Car, depuis une dizaine d’années, les élus orléanais réclament aux autorités la création d'un deuxième site de formation régionale à Orléans – la seule fac de médecine de la région se situant à Tours – et l'universitarisation du centre hospitalier régional de la ville. Dans un courrier adressé aux députés le 25 janvier, Serge Grouard assurait d’ailleurs que, malgré l’implantation de la fac croate, les négociations devraient toujours se poursuivre dans ce sens.
En 2016 déjà, un projet de prépa privée dans la cité johannique avait capoté. Cette prépa avait pour but de préparer les candidats au concours de la faculté de Zagreb. Coût de la formation : 5 000 euros. Ce projet, rappellent les doyens, « avait pu heureusement être stoppé tant il était inepte au plan de la formation et contraire à tous les principes éthiques de l’Université dans notre pays ».
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