Au cœur de l’Hôtel-Dieu, mardi 26 janvier, 18 heures, des rais de lumière s’échappent de l’amphithéâtre Lapersonne. À l’intérieur, les sièges rouges ne suffisent pas à contenir l’auditoire de tout âge et horizon, qui déborde dans les allées. Les micros grésillent, il fait chaud. Qu’importe.
Un silence concentré et passionné a accueilli la leçon inaugurale de la 1re chaire de philosophie à l’hôpital, à deux voix, celles de Cynthia Fleury, philosophe psychanalyste (titulaire) et de Frédéric Worms (président du conseil scientifique). À l’origine de la Chaire, la « nécessité de repenser le sujet, différent de la maladie, dans l’hôpital ; et d’aborder sous l’angle politique le soin, comme constitutif de l’état de Droit», explique Cynthia Fleury en préambule.
Georges Canguilhem est d’emblée convoqué pour penser l’expérience existentielle de la maladie, non comme un état de privation ni comme le dysfonctionnement d’un organe, mais comme «un sentiment de vie contrariée» ("Le normal et le pathologique"). «La maladie est une relation qualitative au monde perturbée, un sentiment capacitaire rendu vulnérable», commente Cynthia Fleury. «C’est aussi la découverte du corps, tandis que la santé est le droit au déni du corps», poursuit-elle.
L’institution hospitalière
Cette faille capacitaire ouverte par la maladie est amplifiée, creusée par l’hôpital comme institution, poursuit Frédéric Worms. « L’hôpital accentue l’expérience négative : d’une part, on y entre avec une angoisse vitale, sous le signe de la mort ; d’autre part, le circuit institutionnel très compliqué, la nécessité de "régler les droits" crée de l’angoisse », explique le professeur de l’École normale supérieure.
Mais il y a ambivalence : nous sommes aussi désireux des secours en cas d’urgence vitale. Et l’expérience hospitalière, celle de l’« hôpital-monde », permet de penser la justice, la violence, les inégalités sexuelles, sociales, ethnico-culturelles… « C’est un lieu d’intensification de la vie », ponctue Cynthia Fleury. « Le lieu du compromis social, où tout le monde se rencontre », ajoute-t-elle.
Quelle hospitalité ?
Comment l’hôpital peut-il remplir sa fonction d’accueil ? Suivant l’ombre du psychiatre Jean Oury dans les couloirs de l’hôpital de La Borde, Cynthia Fleury présente la psychothérapie institutionnelle, l’hôpital qui se soigne avant (et chemin faisant) de soigner, et l’accueil non objectivé, non circonscrit à un bureau tenu par des hôtesses : « L’accueil, c’est partout, c’est dans les petits riens (« pas terrible la cantine » dit un pensionnaire à un autre) que se joue l’identité narrative de l’hôpital », développe la philosophe. « Si l’on manque l’accueil, on échoue tout ».
L’hôpital se doit d’être hospitalier, c’est-à-dire de créer de la confiance, d’être le lieu qui ne fait pas défaut, la boussole pour les désorientés. Mais jusqu’où va l’hospitalité ? Jusqu’à l’hôtellerie des cliniques ? Et Frédéric Worms de défendre le confort comme « assurer un peu de tout à tous », (que le corps ne soit pas un problème, que le sujet soit reconnu), un intermédiaire entre le minimal « moche », et le luxe, qui tient de l’exclusion (ce que les autres n’ont pas).
Cynthia Fleury conclut la leçon inaugurale sur la promesse d’une dialectique forte entre soins et reconnaissance. « On est dans un monde de non soin, d’invisibilité sociale. Le soin, c’est rendre visible le sujet qui n’est pas maladie ». Et d’ouvrir la discussion à la salle, curieuse d’en savoir plus, sur l’amour des soignants, les techniques de l’empathie, ou encore la convalescence. Les philosophes notent les questions, assurent une « consolidation » participative de la maquette de la Chaire, avant son lancement officiel en juin 2016. Elle est ouverte à tous les citoyens, patients, passants et médecins, en partenariat avec l’AP-HP, l’ENS, et Paris V.
Le directeur général de l’AP-HP Martin Hirsch soutient. « Mon rôle est de rendre le soin possible pour tout le monde. L’hôpital n’est pas seulement fait de lit et de médicaments, mais de rapport au temps, au pouvoir, de valeurs, de reconnaissance, de progrès, d’égalité. Soigner impose la philosophie » a-t-il déclaré.
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