LE QUOTIDIEN : Le rapport de la commission Juppé-Rocard sur le grand emprunt réserve 25 milliards sur 35 à l’enseignement supérieur et à la recherche. Vous sentez-vous une ministre gâtée ?
Je suis extraordinairement heureuse. La recherche et l’enseignement supérieur étaient, depuis 2007, la priorité du gouvernement. Avec le grand emprunt, nous avons une preuve d’amour supplémentaire. La première preuve, c’était l’engagement du Président de la République de consacrer 1,8 milliard d’euros à l’enseignement supérieur et à la recherche supplémentaire par an au budget - un engagement qui a été tenu au cours de trois budgets successifs. La deuxième, c’est l’opération campus à laquelle le Président de la République a souhaité consacrer 5 milliards pour faire émerger dix campus universitaires d’excellence, avec notamment de très beaux projets en santé. La troisième preuve, ce sont les 730 millions du plan de relance 2009 dont ont pu bénéficier les organismes de recherche et singulièrement l’INSERM et le CNRS pour leurs locaux et leurs infrastructures, le CEA pour Neurospin par exemple. Et le grand emprunt couronne cet engagement pour la recherche. Le Chef de l’État fera les derniers arbitrages en décembre.
Concrètement, comment se répartissent ces 25 milliards ?
C’est un nouvel âge d’or qui commence pour la recherche française. C’est la première fois que la France investit autant dans sa recherche que les États-Unis. Le programme de relance de Barack Obama en matière de recherche c’est 22 milliards de dollars, le grand emprunt de la France est de 25 milliards d’euros avec 16 milliards libres d’utilisation et 9 milliards sur des programmes thématiques*. Sur les 16 milliards non thématiques, 10 milliards seraient dévolus aux campus universitaires. L’idée est de doter en capital chaque pôle universitaire en lui donnant une liberté d’utilisation en fonction de sa stratégie. C’est une révolution. Ensuite, 3,5 milliards iraient au développement de quatre à six campus d’innovation technologique et de recherche partenariale : ce sont des lieux de la recherche translationnelle. Deux autres milliards iraient à des initiatives pédagogiques innovantes et à des bourses « visant à attirer ou faire revenir en France des chercheurs de haut niveau » et deux milliards également pour les PME innovantes (sous forme d’avances remboursables) dont beaucoup sont spécialisées en biotech. Ce sont là les propositions de la commission Juppé-Rocard ; je rappelle que les arbitrages définitifs seront rendus en décembre.
Ce grand emprunt tombe d’autant mieux que les chercheurs n’étaient pas satisfaits du budget 2010...
Et pourtant le budget est exceptionnel : il permet de faire de fortes revalorisations des carrières de chercheurs avec des primes d’excellence, des promotions accélérées. Il permet aussi au crédit impôt recherche de rester à des niveaux importants et donc de jouer son rôle d’amortisseur social de la crise et de tremplin pour rebondir : c’est crucial. Je suis, par ailleurs, extrêmement fière de l’accord qui a été signé à l’Élysée, il y a quelques semaines, avec dix grands laboratoires pharmaceutiques dans lequel ils s’engagent à doubler le montant de leur recherche partenariale d’ici à 2012. L’augmentation moyenne du budget des organismes est de 2,5 % alors que l’inflation est à 1,2 % et que le budget de l’État augmente lui-même de 1,2 %. Le budget des organismes n’a jamais été aussi élevé et montre, contrairement à ce qui est dit, que je fais le pari du soutien de base et de la revalorisation des carrières.
La recherche est, d’autre part, le seul ministère à ne pas être soumis à la règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux avec un maintien des emplois publics en 2010 et en 2011.
Quel est le but de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie créée en avril dernier avec notamment, le CNRS, l’INSERM, le CEA et l’Institut Pasteur ?
Grâce à la souplesse apportée par l’Alliance, il s’agit surtout d’aller plus vite, à la fois dans le dépôt des brevets, dans la programmation de recherches et dans la mise en place d’une stratégie. Pour la grippe H1N1 par exemple, nous avons gagné environ 6 mois grâce à la coordination immédiate de tous les acteurs. Dans le cadre de la compétition internationale de recherche, accrue dans une gestion de crise sanitaire, la rapidité est aujourd’hui la clé de la réussite. L’étape supplémentaire de l’Alliance, c’est de réussir à négocier des contrats avec le secteur privé encore plus vite pour les recherches partenariales. L’Alliance a déjà changé le regard des partenaires privés et internationaux : aujourd’hui, la recherche française leur semble plus lisible. Ils savent à quel interlocuteur s’adresser.
La L1 Santé -commune à la médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie- verra le jour à la prochaine rentrée universitaire. Ne redoutez-vous pas qu’elle fasse déborder les facultés de médecine ?
Il n’y aura pas plus de candidats parce que nous allons faire une année commune avec 4 concours. Nous créons un cursus commun mais il y aura toujours autant de professeurs et de locaux pour accueillir tout le monde. De plus, la mise en place de la réorientation dès le premier semestre va changer les choses. Au bout de 6 mois, il y aura moins de monde dans les facultés de santé et surtout beaucoup moins de monde en situation d’échec puisque les étudiants seront réorientés. L’effet de la réforme sera d’éviter l’encombrement des facultés avec des jeunes sans aucune chance de réussir et qui jusque-là pouvaient enchaîner jusqu’à quatre ans d’études - deux premières années de médecine et deux premières années de pharmacie - sans aucun diplôme à l’issue.
D’autres dispositions sont-elles prévues pour sélectionner les étudiants à l’entrée en L1 Santé ?
Non. Nous avons mis en place un portail unique de pré-inscription obligatoire à l’université, Admission post-bac, qui met en relation les demandes d’inscription à l’université avec les places disponibles. Il permet également de donner des conseils personnalisés aux élèves.
L’an dernier, nous avons enregistré plus de 133 000 conseils d’orientation formulés aux élèves par les universités. Ce système est extrêmement vertueux et très incitatif : il permet aux lycéens qui s’engouffraient sans savoir dans des filières où ils n’avaient aucune chance de réussir de faire des choix plus adaptés à leur profil.
Un des volets de cette réforme est la création de passerelles pour les étudiants recalés aux concours au plus tard à partir 2012-2013. Or, ces passerelles sont loin d’être définies. Pourquoi est-ce si compliqué ?
La L1 Santé va voir la mise en place de réorientations en cours d’année vers d’autres filières - c’est une révolution - mais elle va aussi permettre une réorientation positive d’étudiants qui, après avoir obtenu des crédits universitaires dans d’autres formations, en licence de science par exemple, pourront repasser ultérieurement les concours. Nous avons entamé une concertation sur ces passerelles. Un arrêté est en préparation, qui paraîtra au printemps. Les passerelles sont difficiles à mettre en place. C’est un peu comme pour les concours d’entrée dans les grandes écoles en 2e voie. Il faut admettre, quand on est dans un parcours très sélectif comme la médecine, la possibilité de donner une seconde chance à ceux qui ont échoué au premier concours. Il faut sortir des idées reçues. On peut réussir à tout âge et être bon en médecine avec d’autres types de formations.
Pourquoi tenez-vous tellement à ouvrir davantage la médecine aux étudiants d’autres horizons ?
Je trouve injuste l’idée qu’il n’y ait pas de littéraires qui puissent faire médecine. Un très bon littéraire peut faire un très bon médecin. Il faut arrêter d’hypersélectionner à partir de 17 ans uniquement sur les sciences. Aujourd’hui, dans un concours aussi sélectif que la médecine, il est très difficile de faire passer l’idée qu’on peut sélectionner les étudiants autrement que par un QCM. Or, on peut très bien le faire sur une épreuve littéraire, un entretien ou sur dossier. Je voudrais que les gens qui ont réussi dans des formations littéraires, de sciences politiques ou de droit et qui, après un master, auraient envie de faire médecine, puissent le faire. Ils présenteront un dossier, seront évalués par une commission ad hoc. Ils pourront, s’ils sont retenus, entrer en L2 dans le cadre du programme "réussir en licence". Cela ne va pas concerner un grand nombre de personnes mais cela va permettre de diversifier le recrutement des étudiants en médecine dans quelques années. Nous travaillons également à la mise en place de passerelles entre les formations de santé. Elles seront aussi bien sortantes pour les étudiants en médecine qui pourront se réorienter vers des IFSI (Instituts de formation en soins infirmiers) par exemple, ou entrantes pour les infirmiers ayant fait un master et souhaitant entrer en médecine.
Un étudiant à Tours aura-t-il les mêmes possibilités de réorientation qu’à Nantes ?
Oui, dans les limites du numerus clausus de sa faculté. À la fin de la première année, les étudiants classés entre deux fois et demie et trois fois le numerus clausus pourront se réorienter vers d’autres filières. Le nombre de places réservé aux passerelles entrantes sera également limité à un pourcentage du numerus clausus pour ne pas déséquilibrer les filières.
Le nombre d’internes va encore augmenter dans les prochaines années et poser des problèmes de formation. Êtes-vous favorable à l’ouverture de stages dans le privé ?
On entend aujourd’hui qu’on manque de praticiens à l’hôpital et d’internes. Nous ferons tout pour que la formation des internes soit de bonne qualité. Je n’exclus pas que les internes en surnombre puissent suivre des stages dans les cliniques dont l’enseignement sera de bonne qualité mais d’abord, il faut les envoyer en stage dans les hôpitaux publics et favoriser leur mobilité. Pourquoi ne pas mettre en place une prime de mobilité pour les étudiants parisiens qui iraient faire des stages dans des hôpitaux d’autres régions ? On peut tout à fait imaginer d’avoir des modulations de rémunération de stage avec un supplément pour les internes qui se formeraient dans les hôpitaux qui ont besoin de personnel.
* En proportion, les budgets de la recherche publique des États-Unis et de la France ne sont toutefois pas comparables. Le budget 2010 de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’élève au total à 29,172 milliards d’euros tandis que les États-Unis investissent 30 milliards de dollars pour le seul budget des National Institutes of Health (en plus des 10,5 milliards de dollars du programme de relance américain).
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