Dans le grand chahut provoqué par la réforme des collèges et son volet sur les langues anciennes, menacées de « massacre » selon ses adversaires, médecins, chercheurs et biologistes brandissent le caducée de la révolte.
Parmi les signataires de pétitions qui circulent actuellement et qui en appellent jusqu’au président de la République pour abroger le décret-casus belli, figurent les noms des Prs Yves Agid, Étienne-Émile Baulieu, Claude Debru, Jean-Marc Egly, François Gros, Arnold Munnich, Philippe Sansonetti, ou Dominique Meyer. Académiciens, professeurs au Collège de France, patrons d’équipes INSERM ou CNRS, tous vent debout. « Ce combat pour la sauvegarde du latin et du grec n’est nullement rétrograde, prévient le Pr Étienne-Émile Baulieu, nous ne nous battons pas pour le maintien d’un jargon révolu. Personnellement, comme chercheur, j’ai toujours apprécié l’intérêt du latin pour formuler les découvertes nouvelles, témoigne l’inventeur du RU-486, qui a fait du latin de la 6ème à la terminale et du grec à partir de la 3ème. Avec les racines faciles du latin, j’ai pu forger de nouveaux mots pour faire comprendre des techniques de pointe. Le latin et le grec, c’est pratique pour regarder l’avenir. Par exemple, quand vous dites thermodynamique, vous avez déjà prononcé deux mots grecs ! »
Latin et grec, deux langues facilitatrices de la médecine et de la science ? « C’est incontestable quand vous prenez une spécialité comme l’anatomie, où le latin est indispensable pour comprendre ce que vous étudiez », assure le Pr Vincent Delmas, à qui on doit les dernières éditions du Rouvière.
Toute la médecine émerge du grec et elle continue de parler grec, y compris pour ses techniques les plus futuristes – endoscopie ou échographie, par exemple. Le grec, une langue pas si morte que ça, protestent, chorus, ses défenseurs.
Et il ne serait pas question que de sémantique avec les langues anciennes : « Elles sont aussi une école du raisonnement de type mathématique, estime le Dr Élie Arié, ex-professeur au CNAM : « Si les maths ne m’ont jamais servi à rien en médecine (il y a beaucoup de calculs, notamment statistiques, en médecine, mais ce ne sont pas les médecins qui les font), je crois que le latin m’a été utile dans la démarche diagnostique, qui est la même que celle de la version latine : ça ne peut être que les maladies X ou Y, mais la numération sanguine ne colle pas Y, donc c’est un cas de X. » Comme dit le Pr Delmas, « le latin, c’est plus malin ».
« De la question de la compréhension découle celle du sens et, ajoute le Pr François-Bernard Michel, ex-président des Académies de médecine et des Beaux-Arts, celle de la dimension humaniste de la médecine. Par le latin et le grec, nous sommes reliés à un trésor littéraire et philosophique qu’il est vital de ne pas lâcher : bien plus que de la terminologie, ou de la technologie, il y a une pratique clinique de l’écoute et du dialogue qui relèvent d’un humanisme consubstantiel à la médecine. »
Apollon terrassé par... Albion
Certes, c’est toujours auprès d’Apollon médecin, par Asclépios et par Hygie et Panacée que les nouvelles générations de médecin prêtent le serment d’Hippocrate. Les étudiants conviennent qu’« on retrouve, par exemple en parasitologie ou en virologie des racines latines, comme le remarque François Antoine Casciani, vice-président de l’ANEMPF, qui a étudié le grec au lycée. Les étudiants qui ont fait des langues anciennes bénéficient sans doute d’un plus, mais il n’est nullement indispensable. » C’est même « épiphénoménal » lance (en parlant grec) Rodolphe Pellet, autre vice-président de l’ANEMPF, et qui a fait latin et grec : « Aujourd’hui dans les amphis, les langues anciennes représentent surtout un marqueur social. À choisir, des bases scientifiques, en physique ou en chimie, sont devenues certainement plus utiles et porteuses de sens pour le cursus médical qu’un bagage en latin ou en grec. Et sur le plan linguistique, c’est certainement l’anglais qui est aujourd’hui la langue de référence. »
Professeur de LCA (lecture critique d’articles) à Rouen, le Pr Luc-Marie Joly n’en disconvient pas : « La médecine repose sur des connaissances formelles issues des publications médicales scientifiques en anglais, mais aussi sur des connaissances non techniques (éthique, déontologie, communication, psychologie, philosophie) dont l’acquisition passe par la maîtrise des humanités. L’apprentissage du latin et du grec est un plus, non indispensable, mais intéressant. Les étudiants qui se sont donné le mal d’apprendre une langue ancienne sont travailleurs et ont une plus grande ouverture d’esprit. Quand je serai vieux, je préférerais être soigné par eux. » Somme toute, pour les médecins de la cause antique, vitae non scolae discimus… (nous n’apprenons pas pour l’école, mais pour la vie).
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