Le harcèlement sexuel est-il un sujet tabou dans le milieu médical ? Sollicités à l’occasion d’un sondage en ligne, quelques médecins ont accepté de se confier anonymement au « Quotidien ». Ils nous ont raconté leurs expériences au cours de leurs études et pendant leurs premières années de carrière hospitalière.
Ces témoins nous parlent de drague, de séduction fondée sur des rapports de pouvoirs, d’un métier qui se féminise de plus en plus (sauf aux postes les plus haut placés). Une majorité d’entre eux considèrent que les rapports hommes femmes à l’hôpital sont similaires à ceux qui existent dans tous les métiers.
Les « traditionalistes » minimisent cependant les comportements déviants préférant invoquer l’esprit carabin. Comme le résume une répondante « généralement, il n’y a rien de bien méchant, mais c'est symptomatique de l'ambiance en médecine et au final de notre société au global ».
Pour les autres, certains agissements ne relèvent pas de cette tradition et vont bien au-delà du jeu de séduction. Ils ne sont pas si rares à le penser : près de 30 % des personnes ayant répondu à notre sondage estiment avoir été victimes de rapports qui allaient au-delà de la bienséance.
Les remarques sexistes et paternalistes
Les traditionalistes :
« Avec les horaires à rallonge des internes et des chefs de cliniques, où draguer à part à l’hôpital ? »
« Y en a toujours une qui peut dire oui, alors ça vaut le coup d’essayer »
« C’est toujours flatteur de montrer des gestes techniques à une jeune consœur, et ça fait partie du charme de l’interne »
« Regardez Grey’s Anatomy, si cette série a autant de succès c’est parce qu’elle parle des histoires de « cul » de l’hôpital »
« Il a toujours des filles qui confondent compagnonnage et drague, ce sont elles qui ne comprennent pas ».
Les harcelés
« L'intention était de flatter, de me draguer, très clairement, mais c'était très pesant »
« Dès les premiers jours de stage, il y avait toujours quelqu’un de bien intentionné pour dire : ne crois pas ce mec, il fait le coup à toutes les externes, et dès qu’il aura “couché“ , il ne te regardera plus »
« J’ai entendu d’un médecin ami de mon père : petite, suis-moi, je vais t’apprendre la médecine et peut-être la vie aussi »
« Et depuis quand il y a des femmes MCU-PH en chirurgie, et pourquoi pas de PU-PH aussi ? »
« Une femme c’est anesthésiste ou pédiatre. Ou alors médecin du travail »
« Et bien sûr, elle est enceinte, on va devoir se taper ses gardes, la pauvre chochotte... »
L’internat et les tonus ou soirées médecine
Les traditionalistes
« Il y aura toujours des jeunes filles prudes qui s’offusqueront à voir les fesses de l’économe, mais c’est ça de faire médecine »
« Comme si montrer ses fesses ou ses seins pouvait être un problème... Si ça ne plaît pas de voir ça à l’internat, on peut toujours manger un sandwich à la cafèt »
« Il y a bien des économinettes, et elles, elles n’hésitent pas à parler de sexe, parfois encore plus crûment que les hommes »
« Les fresques d’internat, ça a toujours existé et ça n’a jamais choqué personne. Certaines représentent des viols, oui, mais toujours avec le visage de “piliers“ d’internat »
« Les tonus, c’est fait pour décompresser »
« Il y a plein de filles qui viennent aux soirées médecine dans l’unique but de rencontrer un médecin »
Les harcelés
« En sortie de bloc, la cafèt de l’hôpital est fermée, alors la seule solution c’est de manger à l’internat, mais franchement, tous ces dessins pornos, ça coupe l’appétit »
« Pour moi, faire médecine était une ascension sociale incroyable par rapport à mes parents qui vivaient en quartier sensible. Se retrouver face à une telle débauche était quelque chose d’inattendu et de choquant. Je ne voyais pas les médecins comme ça »
« J’ai toujours entendu dire qu’on pouvait ne pas venir aux soirées d’internat, que l’on avait le choix. Mais ne pas y participer c’est être exclu de fait du réseau professionnel qui s’y tisse »
Les gardes
Les traditionalistes
« Ce qui se passe en garde reste en garde »
« La promiscuité, la nuit... tout ça favorise un rapprochement bien normal des soignants »
« C’est drôle d’utiliser le “bip“ comme moyen de drague, je me souviens d’avoir bipé ma co-interne juste pour qu’elle vienne me retrouver »
« Ben, on ne passe quand même pas la nuit à regarder la télé »
« Dès les premières gardes, on en entend des vertes et des pas mûres sur ce qu’il se passe dans les chambres la nuit. Parfois c’est vrai, parfois c’est inventé. Mais les histoires sont tenaces »
« Faut bien se défouler, c’est stressant d’être de garde »
Les harcelés
« Une externe a littéralement été violée en garde par un collègue, elle ne savait pas comment dire non. Quand le chef de service en a entendu parler, il l’a convoquée pour lui demander de se taire. Il a ajouté que si elle ne se taisait pas, elle ne terminerait pas son cursus dans son université »
« Déjà qu’il faut gérer le stress de la garde quand on y rajoute le stress du harcèlement, ce n’est plus tenable »
« Il n’y avait pas de verrou à la chambre de garde juste un code visible de tous car il était écrit au-dessus de la porte. Je coinçais la poignée avec une chaise pour arriver à me reposer tranquille »
L’impact sur la carrière
Les traditionalistes
« Les grossesses et les enfants impactent plus sur l’avancée de carrière que le sexisme carabin »
« Par choix, je préfère travailler avec des collègues masculins, ils ne me plantent pas pour aller chercher un enfant malade à l’école »
« Gérer les grossesses dans une équipe, c’est un vrai casse-tête, on ne trouve pas de remplaçant de PH pour 6 mois, alors les autres doivent faire le boulot »
« Être PU-PH c’est publier, travailler sans relâche, se battre pour des budgets, gérer des équipes. Les hommes ont une autorité naturelle dans ce domaine »
« De tout temps et dans tous les métiers, il y a des femmes qui ont usé de leur charme pour avancer dans leur carrière »
« C’est quand même plus agréable d’aller visiter une ville en congrès avec une jeune interne qu’avec un vieux PH »
« Un urologue femme, c’est quand même un peu déplacé, sauf pour les fuites urinaires post-grossesse... »
Les harcelés
« On dit des femmes cheffes de service qu’elles ont couché pour y arriver »
« Certaines filles ont été découragées de choisir certaines spécialités (chirurgicales en particulier) en raison de l’ambiance macho misogyne qui y régnait »
« Être choisie pour présenter une communication en congrès semble parfois relever plus d’un marché sexuel que d’une reconnaissance des capacités médicales »
« On nous renvoie toujours les grossesses, les enfants... Comme si les hommes n’avaient pas d’enfants »
« Il faut dire que certaines de nos consœurs abusent vraiment et se mettent en arrêt dès les premiers mois de grossesse »
Le harcèlement homosexuel, un double tabou
« J’avais 22 ans quand j’ai fait mon premier stage en réanimation. À cette époque, j’étais en plein questionnement sur ma sexualité et je n’avais aucune vie amoureuse. Dès mon arrivée en stage, mon chef de clinique qui était homosexuel m’a fait des avances. Il me disait : tu préfères les garçons c’est sûr, mais tu as peur d’être vu avec un homme, tu as peur que ça puisse nuire à ta carrière...
J’ai vécu très violemment ces remarques car je n’avais absolument pas fait le cheminement vers ce type de sexualité. J’ai eu très honte, l’homosexualité était taboue pour moi à l’époque. Mon chef de clinique me prenait toujours à part, seul à seul sans témoins, et j’étais tétanisé à la fois par l’attitude de mon aîné et par ce qu’il sous-entendait de ma sexualité, chose que je n’étais pas prêt à entendre.
Un jour il a tenté de m’embrasser. J’ai fui et j’ai prétendu une maladie pour ne plus revenir en stage pendant quelques jours. À la fin du semestre, il m’a invité à boire un café et m’a dit qu’il pensait que j’avais refusé ses avances pour ne pas être stigmatisé dans le service. Il m’a proposé de se revoir en dehors de l’hôpital et de devenir, en quelque sorte, mon initiateur...
Ce harcèlement a eu un impact sur ma vie personnelle et il a contribué à différer mon questionnement sur la sexualité. J’ai pendant les deux années qui ont suivi fermé mon esprit à cette question et suis devenu un « no-sex ». J’ai rencontré l’homme de ma vie un peu plus tard, pendant mes années d’internat : un garçon qui ne travaillait pas dans le même milieu que moi et à qui j’ai mis longtemps à raconter mon histoire hospitalière. »
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