Par les Prs Alain Branchereau et Jacques Domergue (*)
PEU DE DISCIPLINES ont fait, en un demi-siècle, des progrès aussi spectaculaires que la chirurgie. Initialement polyvalente, la chirurgie générale s’est spécialisée. Souvent délabrante, elle est devenue mini invasive, et dans bien des cas balistique. Techniques médicales et chirurgicales convergent aujourd’hui vers le chirurgien de demain, plus proche d’un radiologue interventionnel que de nos grands chirurgiens, aux grandes incisions, des années cinquante : « Small is beautiful », pourrait s’appliquer à la chirurgie moderne révolutionnée par l’apparition de l’image, de l’informatique et de la robotique dans les blocs opératoires. L’ablation de la vésicule se fait par voie endoscopique, les opérations de l’épaule ou du genou selon des techniques identiques, l’anévrysme de l’aorte est traité par chirurgie endovasculaire. Les techniques dites ouvertes gardent encore des indications surtout pour des remplacements prothétiques comme en orthopédie.
Comment imaginer que la chirurgie générale résiste à une telle évolution ? Il est facile de comprendre qu’un chirurgien ne peut plus aujourd’hui posséder la sécurité, la connaissance et la technique de tout l’éventail chirurgical, si bien que ceux qui s’intitulent « chirurgiens généraux » sont en fait des chirurgiens viscéraux et parfois exclusivement digestifs. La chirurgie générale telle qu’elle existait dans les années soixante, s’éteint avec la dernière génération de chirurgiens.
Concept obsolète.
Pourtant, le schéma actuel de formation des chirurgiens date des années soixante. Il est basé sur une formation commune de chirurgie générale, à laquelle s’ajoute facultativement une spécialité complémentaire. À l’époque peu d’actes étaient réalisés par les chirurgiens spécialisés qui étaient une minorité. Ce concept est obsolète, cette pratique en voie de disparition. Le décalage entre le diplôme de chirurgie générale et la pratique a suscité dans les années soixante-dix l’organisation de collèges professionnels dans toutes les disciplines chirurgicales ; ils jouent actuellement un rôle important dans la formation et la reconnaissance de la compétence par les pairs ; ils ne sauraient se substituer à l’Université c’est-à-dire à l’État seul garant de la qualité des diplômes délivrés. C’est dans ce contexte que le Conseil national de la chirurgie, en collaboration avec le Conseil national des Universités et la Conférence des doyens, a élaboré un projet de réforme de la formation des chirurgiens. Ce projet consensuel est basé sur la disparition de la chirurgie générale remplacée par 11 disciplines chirurgicales, l’officialisation du post-internat, la reconnaissance de sur-spécialités et pratiques frontières comme la chirurgie de la main possiblement réalisée par des chirurgiens orthopédistes ou plasticiens. Alors que ce projet, qui a fait l’objet d’une large concertation, est prêt à voir le jour, certains s’inquiètent de la disparition de la chirurgie générale.
Quels arguments avancent ces Cassandres attachés à un passé glorieux aujourd’hui décalé ?
Le premier est le risque d’une hyperspécialisation précoce. Le schéma proposé conduira l’interne à se former dans les spécialités nécessaires à son exercice final et non pas au hasard des opportunités. La spécificité de chaque discipline permettra une formation mieux adaptée. Le chirurgien en formation pourra apprendre par exemple les techniques de reconstruction des images, plus utiles pour un chirurgien vasculaire qu’un stage de chirurgie osseuse ou pour un orthopédiste qu’un stage de chirurgie cardiaque. La formation ne peut donc qu’être meilleure.
La « petite chirurgie » n’existe pas.
La deuxième critique se base sur le constat que certains établissements fonctionnent encore avec deux chirurgiens généralistes faisant, l’un « le dur », l’autre « le mou ». Les défenseurs de ce mode d’exercice reconnaissent que ces chirurgiens « généralistes » ne font dans ces petits centres que les opérations les plus courantes. On aurait donc « des petits hôpitaux » avec « une petite chirurgie » faite par de « petits chirurgiens », la chirurgie plus complexe étant réservée aux grands centres. Cette conception inégalitaire socialement doit disparaître.
Il n’y a pas de « petite chirurgie ». Un défaut de cicatrisation après fracture de jambe peut se terminer par une amputation, une appendicite peut masquer une péritonite… Le volume d’activité joue un rôle fondamental dans la qualité des résultats. Cela vaut pour le chirurgien comme pour l’établissement. Après ablation de la prostate pour cancer, la mortalité postopératoire est multipliée par 3,5 dans les centres qui font moins de 50 cas par an par rapport à ceux qui en font plus de 100.
Le problème des urgences ne se pose pas. La France n’est pas le grand nord canadien, aucun hôpital « de proximité » n’est situé à plus de 50 km d’un hôpital référent. Ce problème ne se réglera pas en organisant des gardes de tout et partout, ce qui est illusoire, mais en développant l’organisation territoriale de la chirurgie comme la loi HPST le demande et le permet. Maintenir des structures dites de chirurgie générale dans des hôpitaux de proximité, ou dans de petits centres urbains reviendrait in fine à organiser l’inégalité des Français face aux soins chirurgicaux. Nous ne voulons pas cautionner ces inégalités.
Nos internes, chirurgiens de demain, attendent cette réforme. Parmi ces jeunes mus par la passion, qui ont choisi un long et difficile cursus pas un seul n’accepterait cette « petite chirurgie » polyvalente. Tous savent que les contraintes réglementaires et le désir d’une « vie de famille » normale impliquent des regroupements en équipes de deux ou trois chirurgiens par spécialité, afin d’assurer les urgences, se remplacer, se compléter, s’entraider.
Dernier argument des défenseurs de la chirurgie générale : le contexte européen. Nos voisins reconnaissent les disciplines chirurgicales qui ont toutes organisé un European Board. Certains ont conservé le diplôme de chirurgie générale.
Soyons pionniers, donnons l’exemple en supprimant un diplôme obsolète et en reconnaissant à travers les diplômes universitaires la réalité de la pratique quotidienne. Ces diplômes joueront un rôle majeur dans la restructuration territoriale de la chirurgie et nous impulserons un élan nouveau pour que la chirurgie française conserve la place qui a été la sienne au cours des siècles précédents : une des meilleures au monde.
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