« On connaît tous un interne qui a eu un accident de voiture en sortant de garde, la plupart du temps avec un simple impact matériel, mais avec une peur qui peut perdurer dans le temps. Certains même choisissent leurs postes futurs en fonction de leur localisation pour éviter "le cauchemar du trajet de retour de garde" », explique au Quotidien Olivia Fraigneau, présidente de l’association des jeunes urgentistes (AJMU).
La majoration de l’accidentologie chez les médecins travaillant avec des horaires extensifs et décalés n’est pas nouvelle. En 2005 déjà, un article du NEJM soulignait que chaque mois où un interne effectuait des horaires à rallonge (16 heures en moyenne), son risque d’accident de la circulation était majoré de 9,1 % et lorsqu’il effectuait plus de 5 horaires prolongés dans le mois, le risque de sommeil au volant était triplé et celui d’un endormissement en cas d’embouteillage sur le trajet de retour de l’hôpital multiplié par 4 (1). En 2016, ce travail a été confirmé par une étude britannique montrant qu’après 5 nuits avec 6 à 8 heures de sommeil, le risque d’endormissement en voiture était majoré de 42 % chez les internes en anesthésie réanimation (2).
Qu’en est-il en France actuellement ? Le Dr Denis Louis a choisi de faire sa thèse sur un sujet encore peu abordé : « Les accidents de la voie publique chez les internes : liens avec le rythme de travail ». Cette étude qui s’est déroulée entre février et août 2016 a comparé le rythme de travail des internes ayant subi un accident de la voie publique (AVP) et les autres.
La population étudiée comprenait l’ensemble des internes de médecine inscrits à l’université Lyon I sur l’année scolaire 2015-2016, toutes spécialités confondues. Sur les 1 922 questionnaires envoyés, 614 internes ont répondu, soit un taux de réponse de 31,9 %. Et 92 jeunes médecins ont noté avoir déjà subi un accident de la voie publique durant leur internat ; pour 17 d’entre eux il s’agissait d’un accident corporel (soit 18,5 % des accidentés).
Le rapport accidenté/effectif total était de 14,98 %. L’analyse par spécialités a montré que la majorité des spécialités présentaient un rapport compris entre 12 % et 17 %, mais ces chiffres variaient selon la spécialité : de 0 % en médecine du travail à 20 % en biologie médicale, 22 % en gynécologie obstétrique et 28,3 % pour les spécialités chirurgicales. 84,78 % des accidentés utilisaient une voiture ; 9,78 % un vélo ; 4,35 % un deux-roues motorisé et pour 1,09 % un skateboard.
Les trois quarts des accidents liés à un trajet professionnel
75 % des accidents sont survenus lors de trajets professionnels : 28,26 % en allant en stage, 42,39 % en rentrant de stage et 3,26 % en se rendant en formation. Un seul accident était lié à une mission (1,09 %) : la visite à domicile d’un patient. Sur les 92 internes ayant présenté un accident de la voie publique, 17 ont été blessés soit 18,48 %. Six internes ont eu un arrêt de travail, allant de 1 à 105 jours. La durée moyenne était de 23,5 jours d’arrêt de travail. Quatre internes ont bénéficié d’une ITT, allant de 1 jour à 22 jours. Trois internes ont déclaré avoir gardé des séquelles : anxiété au volant, entorse cervicale, déficit sensitif et moteur du pouce et de l’index ainsi que séquelles esthétiques.
70,65 % des internes accidentés déclarent avoir ressenti de la fatigue le jour de l’accident. Parmi les accidentés, 21,74 % avaient eu avant l’accident l’envie de dormir ou le besoin de s’arrêter pour se reposer. 8,7 % se sont endormis au volant. Au total 68,48 % des internes estiment qu’un défaut d’attention est à l’origine de l’accident.
C’est entre 8 et 12 heures que 40 % des accidents sont survenus. 37,08 % des internes accidentés l'ont été dans les 48 heures suivant une garde. Les internes accidentés assuraient en moyenne 3,66 gardes par mois. Les lendemains de garde représentent donc 12,21 % du temps total du semestre. L’étude a mis en évidence un lien significatif entre le fait d’être en lendemain de garde et le fait de ressentir une fatigue au volant avec un risque relatif de 1,55 (1,26 – 1,9). Être en lendemain de garde augmente aussi le risque que l’accident soit lié à un défaut d’attention (RR = 1,41 (1,11 – 1,8). La probabilité de présenter un accident de la circulation est donc deux fois plus importante que tout autre jour de la semaine.
Pour le Dr Denis Louis, « bien que notre étude cas témoin n’ait pas trouvé de lien significatif entre rythme de travail et accident, nous montrons que les accidents de la circulation chez les internes sont souvent en rapport avec leur travail. Il nous semble donc important que les internes soient sensibilisés au risque d’accident lié à la fatigue ».
Exergue : Deux fois plus de risque d'incidents un lendemain de garde
(1) Extended work shifts and the risk of motor vehicle crashes among interns Barger L, Cade B, Ayays N et coll. NEJM. 2005 Jan 13;352(2):125-34. doi: 10.1056/NEJMoa041401.
(2)Night shift fatigue among anaesthesia trainees at a major metropolitan teaching hospital. Lacman B. Anaesth Intensive Care. 2016 May;44(3):36470.doi:10.1177/0310057X1604400302.
(3) Les accidents de la voie publique chez les internes : liens avec le rythme de travail. Denis Louis, Thèse 2017
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