Courrier des lecteurs

Il faut un véritable « plan Marshall » pour la santé en France

Publié le 03/02/2020

Je me permets de donner suite à votre éditorial « Blue Monday », publié le 20 janvier dans le numéro 9801 du Quotidien du Médecin. Vous écrivez : « Face aux risques d’incendie qui menacent toujours l’hôpital, la ministre doit jouer son va-tout. Il lui faut à tout prix segmenter les mécontentements, voire diviser les acteurs hospitaliers. Une tactique utilisée ces derniers jours auprès des jeunes, non sans un certain succès, puisque les futurs généralistes de l’ISNAR-IMG se contentent des annonces faites concernant les primes et le contrôle des volumes horaires ».

Je vous avoue que cette formulation peut laisser penser que vous considérez que la vieille méthode largement employé depuis des décennies par nos dirigeants « mieux diviser pour régner » reste encore la solution aux problèmes d’aujourd’hui.

L’actualité récente nous a encore démontré combien la France est divisée en de multiples catégories dont l’objectif prioritaire dans une société en crise est de tout faire pour conserver leurs avantages.

Le système sanitaire français et la médecine française sont à l’image du pays. Nos dirigeants ont de longue date joué et profité de ces divisions : le privé contre le public, les généralistes contre les spécialistes, MG France contre les autres, les secteurs 1 contre les secteurs 2, et maintenant les jeunes contre les vieux… On pourrait ainsi multiplier les exemples.

Contrairement à ce que pensent nos gouvernants et notamment Madame Buzyn, le problème n’est pas de sauver l’hôpital mais l’ensemble du système de santé. Malheureusement on peut craindre que cela ne soit aussi difficile que de réformer les retraites car ce système est construit sur une multitude de « régimes spéciaux » qui expliquent les oppositions rappelées ci-dessus, et la difficulté sera encore plus grande si les gouvernants s’obstinent à jouer sur les oppositions catégorielles.

Force est de reconnaître que notre système de santé est en grande souffrance et en grande difficulté sur le plan économique, ce qui n’est pas surprenant lorsque l’impératif catégorique des gouvernants d’hier et de ceux d’aujourd’hui est de « rester dans l’enveloppe », alors que, les mêmes phénomènes qui ont conduit à la faillite de notre système de retraite, impactent le niveau des dépenses de santé : augmentation et vieillissement de la population, augmentation conséquente des pathologies chroniques dont les prises en charge sont de plus en plus coûteuses…

Il y a pourtant au sein de ce système en difficulté des îlots de prospérité que vous connaissez bien puisque le Quotidien du Médecin publie chaque année les statistiques concernant les revenus des médecins qui permettent de constater des écarts considérables, le plus souvent justifiés par la charge de travail ou le niveau de responsabilité.

Particularismes hexagonaux

Cette particularité de la médecine française me paraît pouvoir se résumer par trois mots : nomenclature, dépassement et mutuelles.

La nomenclature, c’est la bible intouchable et d’ailleurs non modifiée pour l’essentiel depuis des décennies : priorité aux activités techniques, faible valorisation de l’acte intellectuel, absence de prise en compte des évolutions techniques considérables survenues. Et puis, surtout, c’est l’absence d’évolution tarifaire aboutissant un niveau d’honoraires indignes pour un grand nombre de spécialités…

Bien évidemment, maintenir le niveau des tarifs de responsabilité de la Sécurité Sociale a permis de « rester dans l’enveloppe », notamment pour la médecine de ville et pour les spécialistes d’exercice libéral. Car la variable de régulation, c’est bien évidemment la possibilité d’appliquer un dépassement, seul moyen de permettre aux revenus de suivre l’évolution du coût de la vie car – et même si l’inflation est actuellement très limitée — on doit rappeler qu’en période de forte inflation tout augmentait, hormis le C, très modérément, et le K, pas du tout. Nul n’ignore que le dépassement doit être appliqué avec tact et mesure, mais chacun sait que, que ce soit à l’hôpital public pour des praticiens ayant une activité privée ou en exercice libéral, ce sont des valeurs assez élastiques.

Enfin, bien évidemment, on ne peut oublier le rôle, que l’on va oser qualifier de pervers, des mutuelles, qui sont les vrais responsables de l’évolution de notre système de santé vers une médecine à plusieurs vitesses. Car au-delà des problèmes de démographie médicale, le facteur qui impacte le plus les conditions d’accès aux soins en termes de délai, de proximité et de qualité, est le niveau de prise en charge par la mutuelle et tout particulièrement pour les populations les moins favorisées pour lesquelles il ne reste que l’hôpital public ou les établissements qui appliquent une politique tarifaire raisonnable, les rendant accessibles aux patients ayant une couverture mutuelle minimale.

On pouvait encore lire dans Le Figaro du 18 janvier Madame Buzyn annoncer : « le plan hôpital se déploie ». On ne peut imaginer qu’elle pense sincèrement que les ajustements qu’elle propose, de nouvelles et insuffisantes rustines, soient à la hauteur des enjeux et notamment du malaise profond de toutes les corporations médicales et paramédicales et de la situation financière des établissements tant publics que privés. De profondes réformes s’imposent et on attend maintenant que soit organisé un véritable « plan Marshall » pour la Santé en France, en souhaitant simplement que cette réforme indispensable et difficile soit menée de façon plus subtile et intelligente que cela n’a été le cas pour la réforme des retraites et que l’on sorte de la tactique « de segmentation des mécontentements ou de divisions des acteurs ».

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Dr Jean-Pierre Martin, Oncologue médical retraité, Lyon (69)

Source : Le Quotidien du médecin