Vincent Sapin (CHRU de Clermont-Ferrand) : « Les biomarqueurs évitent 40 % de scanners inutiles après un traumatisme crânien »

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Publié le 24/09/2025
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Une équipe clermontoise vient d’être récompensée du prix Univants of Healthcare pour son projet d’intégration de trois biomarqueurs dans la prise en charge des traumatismes crâniens légers. Le point avec le PU-PH Vincent Sapin, pharmacien biologiste médical au CHRU de Clermont-Ferrand, spécialiste en biochimie et génétique moléculaire, et récipiendaire du prix Univants.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Pourquoi a-t-on besoin de biomarqueurs pour évaluer la gravité d’un traumatisme crânien (TC) ?

VINCENT SAPIN : Jusqu’en 2022, il n’y avait pas véritablement de recommandation en ce qui concerne l’utilisation de biomarqueurs du TC léger (1). Nous avions l’habitude de nous baser sur un algorithme à partir du score de Glasgow et des facteurs de risque. Beaucoup de scanners étaient réalisés entre la 4e et la 6e heure après la survenue du choc, or il y a 130 000 cas de TC légers par an, dont une faible proportion présente véritablement des lésions intracrâniennes. Les gens étaient irradiés de façon inutile. Qui plus est, cela représentait une charge importante pour les services d’urgence.

Les biomarqueurs sont un outil important car ils permettent d’éliminer rapidement les patients qui ne présentent pas de risque d’hémorragie intracrânienne. Le premier à avoir publié des données sur le sujet est le Dr Heinrich Wolfgang Thaler (Meidling Trauma Hospital, Vienne, Autriche), le « papa » du premier biomarqueur, la protéine S100B. Il avait démontré qu’en dessous du seuil de 0,105 μg/L, on peut être certain à 100 % qu’il n’y a pas de lésions.

Plusieurs biomarqueurs ont été étudiés. Comment les employer ?

Au-delà de la protéine S100B, deux autres biomarqueurs à utiliser en binôme ont fait leur arrivée, l’association de GFAP et d’UCH L-1, le principal intérêt étant d’avoir une fenêtre d’utilisation plus large. La S100B doit être dosée moins de 3 heures après le choc, alors que l’association GFAP/UCH L-1 peut être testée dans les 12 heures.

Le consensus actuel est qu’il faut se baser sur les trois protéines pour éliminer les incertitudes. De nouvelles recommandations américaines vont d’ailleurs dans ce sens. Si l’on dépasse le seuil prévu pour l’un de ces deux tests, alors la probabilité de lésion intracrânienne est forte et il faut faire un scanner. Avec cet algorithme, on évite 40 % de scanners inutiles, c’est très important, en particulier chez les enfants. Une étude médico-économique a conclu à une économie de 5 000 euros par patient rentré à domicile avec un test négatif.

Pouvez-vous décrire le projet sur lequel vous avez travaillé ?

Notre projet a consisté à étudier l’impact et la faisabilité de l’utilisation en clinique de ces trois biomarqueurs en vie réelle. Nous avons constaté une réduction de 3,5 heures du temps de gestion aux urgences, ce qui correspond à une centaine de jours par an de soins à l’échelle d’un hôpital comme celui de Clermont-Ferrand. C’est un excellent retour sur investissement.

Ce qui plaît aux cliniciens, c’est l’absence de faux négatifs. En un peu plus de 10 ans, nous n’avons connu que des questionnements car ils étaient arrivés trop tard aux urgences pour que la S100B soit informative. Ces travaux ont permis d’émettre de nouvelles recommandations sur l’évaluation des traumatismes crâniens légers avec la protéine S100B.

Les urgentistes français se sont-ils emparés de ces nouveaux outils ?

On a vraiment eu deux époques. Avant 2022, l’utilisation des biomarqueurs était très dépendante des centres hospitaliers. Depuis, les médecins peuvent s’appuyer sur les recommandations et ils le font volontiers car le dosage prend seulement 20 minutes. Dans la pratique, sur les trois biomarqueurs, on peut toujours en tester au moins un, quel que soit l’équipement du laboratoire. Récemment Abbott a sorti des petits automates pour analyser ces trois biomarqueurs en sang total, pas plus grand qu’une feuille A4.

Quelles sont les prochaines étapes ?

La première question qui se pose est l’intégration dans la nomenclature des actes médicaux et le remboursement. Ensuite, on se rend compte que les biomarqueurs peuvent être utilisés, non seulement pour le diagnostic, mais aussi pour le pronostic.

Une étude récente a montré que les personnes avec des niveaux élevés de biomarqueurs ont un risque de séquelles plus important et de rétablissement plus lent. On peut ainsi demander aux médecins généralistes de suivre le retour à la normale. Nous travaillons aussi beaucoup sur la commotion cérébrale du sportif : nous commençons une étude avec la fédération de MMA sur l’identification des lésions cérébrales et le retour au sport.

(1) Il existe trois catégories de traumatismes crâniens : lourds, légers et très légers. Le traumatisme crânien léger de l’adulte se définit par une ou plusieurs perturbations suivantes : confusion ou désorientation, perte de conscience pendant 30 minutes ou moins, amnésie post-traumatique pendant moins de 24 heures et/ou autres anomalies neurologiques transitoires (signes focaux, crise d'épilepsie, lésion intracrânienne ne nécessitant pas d'intervention chirurgicale). Il peut aussi se définir par un score de 13 à 15 sur l'échelle de coma de Glasgow 30 minutes après la blessure ou plus tard lors de la présentation aux soins.


Source : lequotidiendumedecin.fr