Trop, c’est trop. En anticipation de la saison estivale, les conférences représentant les directeurs généraux des CHU et des centres hospitaliers (CH) sonnent l’alarme face au doublement du flux de patients aux urgences, passé de 10 millions en 1996 à 20,9 millions en 2022, dont 14 % de personnes de plus de 75 ans.
Dénaturé par rapport à son rôle initial, le recours aux urgences hospitalières doit être utilisé de façon « raisonnée », plaident les managers, qui appellent à un « pacte de responsabilisation » associant les établissements de santé publics, la population et surtout les médecins de ville et les cliniques privées.
Ce pacte regroupe dix mesures « qui ambitionnent de protéger la qualité de la prise en charge des patients tout en confortant les conditions d’exercice et donc l’attractivité des métiers de l’urgence ». Il implique de « repenser en profondeur le sens, les conditions d’accès et l’organisation de ces services ».
Généralistes, SOS médecins et MMG en renfort
Première priorité, les directeurs remettent sur le tapis l’idée d’une « permanence des soins partagée de façon équitable » entre tous les établissements de santé et la médecine de ville et ce « tous les jours de l’année ». À l’instar de l’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux, qui dénonçait régulièrement les dysfonctionnements dans la coopération entre le public et le privé, les conférences proposent une mobilisation « au bon niveau » des hôpitaux, des cliniques et de la médecine de ville pour éviter que la PDS « ne repose (...) exclusivement sur l’hôpital public » - qui en assure aujourd’hui 85 % pour le volet établissement.
Pour cela, les conférences veulent « donner aux ARS des moyens de régulation pour assurer une PDS effective dans toutes les structures ». « Cette notion implique que les blocs opératoires et les lits d’aval des établissements qui ont une autorisation d’urgences puissent être en pratique déclenchés, y compris la nuit et le week-end, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui », insistent les managers publics. Cela implique également de « mobiliser la médecine de ville », « quelles qu’en soient les modalités pratiques selon les territoires, avant minuit tous les jours de l’année », « par exemple via les généralistes, SOS Médecins, les maisons médicales de garde, etc. » Dans les pas des propositions de loi Garot et Mouiller, les médecins libéraux apprécieront l’attention.
En parallèle, il est « indispensable » pour les directeurs d’hôpitaux « de clarifier le rôle des centres de soins non programmés qui ne doivent pas pouvoir utiliser la dénomination “urgences” afin de ne pas créer une confusion sur leur rôle, tant auprès des professionnels que de la population ».
Finir la généralisation des SAS
Deuxième axe de travail : apporter davantage de « transparence » sur la disponibilité des lits dans les hôpitaux et cliniques, spécialement « pour éviter des attentes ou des pertes de chance injustifiées » en cas d’hospitalisation post-urgences, « particulièrement en gériatrie et en traumatologie ». L’idée, qui n’est pas nouvelle, a été développée depuis une dizaine d’années à travers les bed managers, ces agents hospitaliers dédiés à la gestion du parc en aval des urgences, en corrélation avec le besoin journalier minimal en lits (BJML), un indicateur de plus en plus répandu à l’hôpital public.
En parallèle, les directeurs suggèrent d’augmenter le contingent d’infirmières en pratique avancée (IPA) aux urgences, mais aussi en pédiatrie et en gériatrie. Le fort besoin de régulation réclame aussi d’améliorer la fluidification des sorties. Concrètement, les conférences de directeurs demandent à travailler à « un modèle économique viable pour les services à domicile, dans un contexte où 80 % des sorties de l’hôpital se font à domicile », ainsi qu’à des « mesures fortes » pour contrer la dégradation de l’accès aux soins en psychiatrie.
Enfin, les managers d’établissements publics militent sans surprise pour une régulation en amont renforcée, « afin d’y orienter uniquement les cas qui le justifient ». Ils suggèrent d’« officialiser » le passage par un appel au 15 et/ou le service d’accès aux soins (SAS) lorsque le patient n’est pas adressé par le médecin (hors populations vulnérables ou précaires). Pour appuyer leur propos, les conférences appellent à la généralisation effective des SAS à l’échelle nationale avant la fin de l’année 2025, y compris dans leurs formats spécialisés (psychiatrie, pédiatrie, dentaire, gériatrie). Au 1er octobre 2024, 89 SAS étaient opérationnels et dix autres en cours de formalisation. En métropole, 92 départements en sont pourvus pour un taux de couverture de la population de 96 %.
Plein soutien des urgentistes, sociétés savantes et des doyens
Les institutions représentatives de la médecine d’urgence (Samu-Urgences de France, SFMU, CNUMU, CNU, CNP) « apportent [leur] adhésion » à l’ensemble des propositions des directeurs hospitaliers, auxquelles elles ajoutent la création des assistants territoriaux, solution poussée conjointement par les doyens, l’Ordre et les syndicats étudiants comme rempart aux mesures coercitives. « Le scandale des lits brancards, avec leurs conséquences insupportables sur la mortalité de nos patients les plus fragiles, persiste comme la crise de la psychiatrie qui impacte douloureusement les services d’urgences, grondent les urgentistes. Nous assistons avec consternation à la fermeture de nombreux Smur sur le territoire, réduisant la capacité des médecins urgentistes à intervenir sur les cas les plus graves ».
Pas en reste, la conférence des doyens de médecine partage totalement l’analyse des directeurs et apporte son « soutien sans réserve » à leurs propositions face à « la situation critique des urgences qui nécessite des mesures fortes en amont et en aval ». Les doyens mettent en avant la création d’un assistanat territorial, de nouvelles mentions pour les infirmiers/ères en pratique avancée (IPA) et la territorialisation des stages de second et de troisième cycle.
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