« Possible infarctus étendu »

Que s'est-il passé ? Le 20 août 2020, la sexagénaire martiniquaise se plaint d’importantes douleurs thoraciques. Un mois plus tôt, Yolande Gabriel avait déjà été hospitalisée deux semaines pour une myocardite, une embolie pulmonaire et une pneumonie. Elle se rend aux urgences de l’hôpital de Meaux, en Seine-et-Marne, où un électrocardiogramme est effectué et « indique un "possible infarctus étendu" et conclut à un "ECG anormal" », rapporte Mediapart. Son taux de troponine est également anormalement élevé, mais le médecin de garde la laisse rentrer chez elle, en pleine nuit.

De retour au domicile, les douleurs s’accentuent, Yolande Gabriel contacte le 15. À l’autre bout du combiné, les enregistrements révélés par Mediapart montrent une assistante de régulation médicale (ARM) qui semble s’impatienter. « Bon madame, madame, madaaaame ! OK, on va se calmer », dit l’ARM, avant de transférer l’appel au médecin régulateur.

« Mais putain, parlez dans le téléphone ! »

Après avoir rappelé ses antécédents et les résultats de son passage aux urgences dans la nuit, la patiente fait face à un médecin régulateur agacé. « Madame, arrêtez ! », s’énerve le médecin. « Puis, le régulateur ne dissimule même plus sa colère et lui crie dessus lorsque, paniquée, elle ne parvient plus à parler devant le combiné. "Mais putain, parlez dans le téléphone !", lâche-t-il, avant de préciser qu’il lui envoie une ambulance pour l’emmener à l’hôpital de Meaux », détaille Mediapart. Yolande Gabriel décédera moins de trois heures plus tard.

Alors qu’elle raccroche, la patiente fait un malaise, ses filles rappellent le 15, qui décident d’envoyer une simple ambulance privée, incapable de gérer un arrêt cardiorespiratoire. Finalement, l’équipe arrivera plus d’une heure après avoir été missionnée.

« Elle larmoie »

Contacté par Mediapart, le directeur du Samu de Seine-et-Marne, François Dolveck, écarte toute faute du médecin régulateur, « un médecin de grande expérience », et il estime « ne pas avoir à commenter sa décision médicale ». « La prise en charge téléphonique par l’ARM puis le médecin a permis un interrogatoire minutieux et prolongé. Malgré quelques signes exprimés d’exaspération injustifiée du médecin, qu’il regrette, la continuité de la prise en charge n’en a pas été affectée », justifie François Dolveck.

Pourtant, face à des douleurs thoraciques, un passage aux urgences et des antécédents cardiovasculaires, l’appel de la victime a été classé P2, dernier niveau sur l’échelle des priorités au 15, rapport Mediapart. Dans l’historique du centre de secours, le médecin régulateur mis en cause à d’ailleurs a retranscrit l’appel de Yolande Gabriel en précisant : « elle larmoie ». « Je me suis expliqué avec le médecin, qui s’en est excusé », a précisé le patron du Samu. 

Syndrome méditerranéen ?

Retard de prise en charge, soupçons de propos méprisants : cette affaire n’est pas sans rappeler celle de Naomi Musenga, décédée en 2017. Les filles de Yolande Gabriel s’interrogent sur de possibles biais racistes du Samu, alors que leur mère avait un accent martiniquais. « Il ne faut pas se voiler la face, il y a quelque chose qui s’appelle le syndrome méditerranéen, avance Marie-Laure, l'une des filles de la victime. Certains médecins pensent que dès qu’on est d’origine africaine, caribéenne ou maghrébine, on a tendance à exagérer la douleur. » Une hypothèse que réfute le directeur du Samu.