Huit mois après le rétropédalage d’Olivier Véran, en octobre 2021, sur l'encadrement strict de l'intérim médical (la loi Rist), la réforme promise semble toujours au point mort…
Après avoir reculé face aux alertes des hôpitaux, l’ex-ministre de la Santé, engagé de longue date sur ce dossier sensible, avait promis de reprendre la main en deux étapes. La première sous forme de « cartographie » précise de la situation de l’intérim médical, sous l’égide des ARS. La deuxième étape visait l'application concrète de la réforme Rist « dès que possible en 2022 » – avec un contrôle a priori par le comptable public du respect strict du plafond réglementaire (1 170 euros par 24 heures de travail depuis 2020). Désormais, les paiements irréguliers constatés seraient rejetés. De son côté, le directeur général de l'ARS, informé de l'irrégularité des rémunérations, devrait déférer ces actes au tribunal administratif compétent.
4 000 euros la garde
Interrogée par « Le Quotidien » sur la situation actuelle, Zaynab Riet, déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF), n’a pas vu les lignes bouger. Au contraire. Sur fond de démographie médicale vacillante, les tarifs à la journée n'ont même jamais été aussi élevés – jusqu'à 4 000 euros la garde de 24 heures –, selon les études récentes de la fédération. Les spécialités les plus en tension sont les urgences, l'anesthésie, la gynécologie-obstétrique, la cardiologie, la radiologie mais aussi la pédiatrie et gériatrie.
La crise sanitaire, qui a exacerbé les tensions sur les ressources humaines, n'a rien arrangé. D'où « une surenchère sur l’intérim », analyse Zaynab Riet. Preuve de la complexité de l'équation dans les hôpitaux, « les établissements n’hésitent pas à fermer des lits de façon temporaire ou sporadique, pour permettre aux professionnels de souffler et se concentrer sur les secteurs les plus prioritaires », ajoute-t-elle. Le dilemme est souvent impossible. « C'est fermer des services ou dépasser le plafond réglementaire de la rémunération », souligne la déléguée générale de la FHF.
Pour mettre un terme aux dérives du mercenariat et à la « concurrence déloyale », le lobby hospitalier mise sur une revalorisation des carrières médicales, la valorisation de la pénibilité de l'exercice (sujétions, gardes, astreintes) et une mutualisation des contraintes de permanence des soins pour tous les médecins, à l'hôpital, en clinique et en ville. « On ne peut plus faire peser toutes les contraintes sur les mêmes, en particulier quand celles-ci sont mal rémunérées », martèle Zaynab Riet.
La nouvelle grille, cicatrice indélébile
Pour nombre d'hospitaliers, le fond du problème reste le manque d’attractivité des métiers et la dégradation des conditions de travail des équipes en poste. « Si les médecins font de l’intérim, c’est parce qu’ils ne se retrouvent pas dans leurs conditions d’exercice, ils décident donc de travailler moins », analyse le Dr Thierry Godeau, à la tête de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers. Pour le patron de la CME du GH Littoral-Atlantique, la solution passe par la revalorisation de la permanence des soins, la baisse de la charge de travail (notamment administrative) mais aussi le rattrapage des échelons pour la majorité des praticiens en poste (récupération de quatre années d’ancienneté). Cette différence entre nouveaux PH et anciens est vécue comme « une cicatrice indélébile à l’hôpital », observe le médecin.
À la tête de la conférence nationale des présidents de CME de CHU, le Pr Rémi Salomon juge lui aussi qu’il faut urgemment revaloriser la permanence des soins, mais aussi « mieux travailler avec la ville », au niveau territorial » pour « sortir de l’ornière ».
Les limites de la PST
Pour contrer les dérives des rémunérations des intérimaires, le gouvernement espérait du moins favoriser les remplacements de praticiens volontaires, entre hôpitaux publics. Sa méthode : valoriser l’implication de médecins, au-delà de leurs obligations de service, à des tarifs égaux ou supérieurs à ceux de l’intérim. Mais la prime de solidarité territoriale (PST), créée par le gouvernement en décembre dernier, n'a pas produit pas les effets escomptés. « La PST ne marche pas très bien, affirme le Dr Thierry Godeau. 10 % des services d’urgence bénéficient des services de praticiens dans le cadre de la PST, tandis que plus de 70 % des services ont recours à l’intérim ». Selon lui, l’argent n’est d'ailleurs pas le moteur principal de praticiens qui refusent d’aller travailler – en plus de leurs heures habituelles – « dans des conditions éventuellement non sécurisées, avec une pénibilité majeure, même payés jusqu’à 2 000 euros brut le dimanche ».
Président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), le Dr Jean-François Cibien estime même que c’est « une honte de pousser les médecins à aller travailler sur un autre site, au-delà de 48h, qui est la borne supérieure fixée par la Cour de justice de l'Union européenne ». Pour l’urgentiste du CH d'Agen, il faudrait plutôt « payer les professionnels à leur juste valeur », y compris pour leurs heures supplémentaires.
Dans ce contexte, le coût de l’intérim médical aurait flambé en deux ans. Estimé entre 1,2 et 1,5 milliard (au total) en juillet 2020, il dépasserait aujourd'hui 2,5 milliards par an. Une manne que les syndicats de PH voudraient utiliser pour revaloriser les carrières médicales. La crise de l’intérim est « le symptôme d’un mal beaucoup plus profond », résume le Dr Cibien. Un mal que l’on pourra difficilement soigner à court terme, ajoute le Pr Rémi Salomon, patron des CME de CHU, car il est difficile d’avancer sur l’intérim « quand on a le couteau sous la gorge ».
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