Faut-il croire les hypocondriaques et les cybercondriaques ?

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Publié le 08/03/2024
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Le nombre de patients persuadés d’être atteints de maladies que les cliniciens n’arrivent pas à déceler ni à traiter a augmenté avec le recours à Internet au décours de la pandémie Covid. Alors que leur prise en charge reste complexe, des chercheurs suédois montrent que leur risque de décès de cause naturelle ou par suicide est plus élevé que celui de la population générale.

Près de 40 % des personnes effectuant des recherches d’informations médicales sur Internet rapportent une augmentation de leur anxiété

Près de 40 % des personnes effectuant des recherches d’informations médicales sur Internet rapportent une augmentation de leur anxiété
Crédit photo : GARO/PHANIE

L’hypocondrie a toujours existé : la première description date du Corpus Hippocratique ; elle en fait une affection liée à l’excès de bile noire associée à la mélancolie. Réel trouble de santé mentale, cette pathologie fait désormais l’objet d’une définition assez précise dans le DSM-IV-TR, qui la classe parmi les troubles somatoformes à présentation primaire (névrose), secondaire somato-psychiatrique ou psychotique et délirante.

Apparition de cybercondrie

Comme l’expliquent Nathalie Deprez et Jean-Michel Triffaux dans la Rev Med Liege (1), la crainte du Covid et les confinements ont fait naître une nouvelle forme d’hypocondrie : la cybercondrie. Si la recherche d’informations médicales en ligne peut constituer un mécanisme de défense face à une situation ressentie comme possiblement pathologique, cette pratique peut également contribuer à aggraver ou perpétuer la symptomatologie : près de 40 % des personnes effectuant ces recherches rapportent une augmentation de leur anxiété. Elle est corrélée à l’intolérance à l’incertitude qui pourrait être un moteur des compulsions : les recherches en ligne font émerger des résultats douteux augmentant l’incertitude, ce qui motive la poursuite de recherches dans l’espoir de trouver une réponse claire… Une situation sans fin.

Que faire en consultation face à un patient hypocondriaque ? C’est une conjoncture difficile puisque les préoccupations physiques de ces patients peuvent être dénuées de toute base organique, mais peuvent également apparaître en lien avec une maladie somatique identifiée. La plupart du temps, ces patients ne sont pas rassurés par les avis médicaux qu’ils n’hésitent pourtant pas à « consommer » abondamment. Faut-il croire à leurs « pathologies » subodorées, alors qu’inévitablement une certaine lassitude ou une légère tendance à accorder moins d’importance aux symptômes évoqués s’installent ?

Étudier le risque de mortalité des personnes hypocondriaques

Dans une étude suédoise publiée en décembre 2023 dans JAMA Psychiatry (2) des chercheurs se sont intéressés au risque de mortalité des personnes hypocondriaques en comparaison avec la population générale, un aspect jusqu’ici très peu étudié. Il s’agissait de la mortalité toutes causes confondues et de la mortalité spécifique, en faisant une distinction entre causes naturelles (affections diverses) et causes non naturelles (principalement suicide).

Les personnes hypocondriaques présentaient un risque de mortalité toutes causes confondues 69 % plus élevé

La cohorte étudiée incluait 4 129 personnes pour lesquelles un diagnostic validé d’hypocondrie (code ICD-10 des pathologies) avait été posé entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2020, apparié à 41 290 personnes sans hypocondrie, en Suède. Parmi les 4 129 hypocondriaques (âge médian au diagnostic d’hypocondrie, 34,5 ans [26,3-46,1 ans], dont 2 342 femmes [56,7 %]) et les 41 290 témoins appariés sans hypocondrie (âge médian à l’inclusion dans l’étude, 34,5 ans [26,4-46,2 ans], dont 23 420 femmes [56,7 %]), 268 participants hypocondriaques et 1 761 sans hypocondrie sont décédés durant la période étudiée. Ces deux chiffres correspondent respectivement à un taux de mortalité de 8,5 et de 5,5 pour 1 000 personnes-années.

Les personnes hypocondriaques présentaient un risque de mortalité toutes causes confondues 69 % plus élevé que les personnes sans hypocondrie. Cette majoration du risque de mortalité concernait à la fois les causes naturelles (HR : 1,60) et non naturelles de décès (HR : 2,43). Le risque de suicide (la cause de mort non naturelle la plus fréquente) était quatre fois plus élevé parmi les hypocondriaques. À croire que la définition de l’hypocondrie associée à la mélancolie telle que définie par le manuscrit d’Hippocrate reste toujours d’actualité. L’hypocondrie est un trouble qui s’inscrit dans le champ de la psychopathologie et de la médecine psychosomatique. Si le traitement de l’hypocondrie reste long et difficile, il ne faut jamais perdre de vue que ces patients sont en profonde souffrance et qu’ils recherchent, avant toute chose, une écoute professionnelle et un accompagnement bienveillant.

(1) Deprez N, Triffaux J-M L’hypocondrie : la peur maladive des maladies... Rev Med Liege 2023;78(5-6):335-41.
(2) Mataix-Cols D, Isomura K, Sidorchuk A, et coll. All-Cause and Cause-Specific Mortality Among Individuals With Hypochondriasis. JAMA Psychiatry. Published online December 13, 2023.

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du Médecin