Deux ans après avoir publié une étude sur la perte de sens chez les agents du service public, le collectif transpartisan « Nos services publics » – qui milite contre les dysfonctionnements des administrations – livre un rapport préoccupant sur l’état des services publics. En 300 pages, celui-ci s'articule autour de cinq thématiques (santé, école, transports, justice et sécurité, financement des services publics). Le document s’appuie sur les regards croisés d’une centaine d’agents, chercheurs ou cadres de l’administration.
Celui-ci met en évidence le « décalage croissant entre les besoins sociaux et les moyens des services publics » : aggravation des inégalités, « espace grandissant » pour le secteur privé, point de rupture entre citoyens et agents publics… Jusqu’à présent, les experts analysaient le fonctionnement des services publics à travers le seul prisme comptable, « la recherche d’économies budgétaires », et non pas « les évolutions des besoins et la transformation de la société », explique Arnaud Bontemps porte-parole du collectif « Nos services publics », marqué à gauche.
Les attentes de la population, « en forte évolution », sollicitent « fortement » les services publics, selon le collectif pour qui les efforts en miroir ont été « insuffisants ». Les moyens des services publics « augmentent depuis 20 ans moins rapidement que les besoins sociaux », si bien que l’écart tend à s’aggraver.
Un Français sur six en ALD
L'analyse de ce décalage s’applique au secteur de la santé. Le vieillissement de la population et les avancées médicales ont conduit à « mieux reconnaître et prendre en charge les maladies chroniques, mais celle-ci a connu une croissance massive », explique Marie Pla, corapporteuse du rapport. Le nombre de patients en ALD a bondi de 34 % entre 2010 et 2020, si bien qu’il concerne plus d'« un Français sur six », soit 12 millions de personnes (contre 9 millions en 2010). La progression des maladies chroniques transforme les attentes et besoins du système de soins, puisque « la prise en charge nécessaire pour leur accompagnement diffère d’une prise en charge de maladie aiguë », peut-on lire. Las, les politiques publiques de prévention « centrées sur des campagnes visant les comportements individuels plutôt que les déterminants collectifs de la dégradation de la santé, ne permettent pas de réduire ces inégalités », assènent les auteurs.
Hôpital en difficulté
D’autres inégalités de santé sont soulignées. « Du fait d’un volume total de dépenses de santé très supérieur pour les patients atteints de maladies chroniques, leur reste à charge moyen est notamment près de 90 % supérieur à celui des patients qui ne sont pas en ALD (772 euros par an contre 440 euros par an) », observe le rapport.
La démographie médicale en souffrance et l’inégale répartition géographique des généralistes aggravent les difficultés d’accès aux soins, et donc le sentiment de délitement du service public de santé. Quant au fonctionnement des services d’urgences, il « n’a jamais été aussi altéré », affirme une enquête récente de Samu-Urgences de France (SUdF).
Actes rentables
Pendant ce temps-là, pointe le rapport, le secteur privé gagne du terrain, constate le rapport qui évoque « un espace grandissant pour une offre privée, désocialisée, de prise en charge des besoins ». Pour Arnaud Bontemps, « la santé est un très bon exemple de contournement par le privé. Les cliniques se concentrent sur les actes très rentables et laissent à l’hôpital public les soins les plus lourds », explique-t-il.
Rapport sur la dégradation des services publics: "La santé est un très bon exemple de contournement par le privé. Les cliniques se concentrent sur les actes très rentables et laissent à l’hôpital public les soins les plus lourds", explique Arnaud Bontemps, fonctionnaire. pic.twitter.com/3KoNMbvEpL
— franceinfo (@franceinfo) September 14, 2023
Comme d'autres rapports, celui de ce collectif de fonctionnaires ajoute que la tarification à l'activité (T2A) ne finance pas les actes de coordination et d’organisation, « pourtant essentiels dans le cadre de pathologies lourdes et de cas sévères, plus souvent pris en charge par le secteur public ». Lucie Castets, co-porte-parole du collectif, enfonce le clou. « Si les pouvoirs publics avaient souhaité changer de braquet pour empêcher le développement de cette offre privée, cela aurait été fait ». Selon elle, l’exécutif a fait preuve de « passivité », voire d’une « volonté délibérée de laisser la place au privé ».
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