Président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le Pr Rémi Salomon alerte sur la situation sanitaire « de plus en plus tendue » dans les 39 hôpitaux du CHU francilien.
Le chef du service de néphrologie pédiatrique à l’hôpital Necker-Enfants malades s'inquiète de la capacité d'absorber la nouvelle vague de patients Covid, alors que les services sont en manque de paramédicaux et que l'AP-HP ne pourra pas compter comme au printemps sur le renfort de confrères en régions.
LE QUOTIDIEN : Ce matin, le patron de l'AP-HP Martin Hirsch a fait le constat de « situations très difficiles » au CHU qui « mettent tout le monde sous tension » tandis que le DG de l'ARS Ile-de-France, Aurélien Rousseau, a déclenché la veille le plan blanc renforcé, disant craindre une « marée très forte ». Est-ce le sentiment de la communauté médicale ?
Pr REMI SALOMON : Nous voyons un mouvement s'amorcer depuis plusieurs semaines et nous sommes effectivement confrontés sur le terrain à une situation de plus en plus tendue. Nous avons franchi la barre des 20 % d'opérations déprogrammées, en privilégiant pour l'instant les interventions dont le report occasionnera certes des désagréments pour les patients mais pas de perte de chance. En revanche, le taux d'occupation des lits de réanimation progresse vite : il était hier de 40 % contre 37 % trois jours avant, mardi 6 octobre. Le pourcentage de tests PCR positifs est également un indicateur inquiétant : 17 %.
Nous allons donc probablement devoir pousser la logique de déprogrammation des blocs. Les médecins de l'AP-HP le savent bien : cela va entraîner des pertes de chance. C'est ce que nous craignons le plus et nous allons être obligés de le faire.
Seule note positive : la prise en charge des patients Covid s'est dans son ensemble améliorée. Les patients infectés sont un peu moins ventilés, ceux en réa sont un peu moins intubés. Avec 200 patients en réa, on est également loin du pic du printemps à 1 150 patients. Attention : c'est la même maladie qu'au printemps, une maladie qui tue avec une médiane à 62 ans.
Au regard de la situation, l'AP-HP a-t-elle déjà réaffecté des effectifs en interne ? Rappelé des personnels en renfort ?
Nous commençons à réaffecter à la marge du personnel des blocs opératoires, ce qui n'est pas une mince affaire. Il faut comprendre que la situation est très différente par rapport au printemps, où on avait déprogrammé 80 % de l'activité en moins de dix jours! Le pays et les blocs étaient à l'arrêt, les soignants disponibles dans nos hôpitaux mais aussi en dehors de l'Ile-de-France. La mobilisation était générale. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus complexe de s'organiser en interne. Les étudiants infirmiers ne peuvent pas arrêter leurs études une fois de plus pour nous prêter main-forte. L'AP-HP va donc devoir se tourner vers les cliniques et les autres hôpitaux franciliens. C'est d'ailleurs là que réside l'intérêt du plan blanc.
La pénurie paramédicale est chronique à l'AP-HP. Est-ce un sujet d'inquiétude ?
Le nombre de postes d'infirmiers vacants oscille effectivement entre 700 et 900. Nous avons réussi à embaucher ces derniers mois 500 soignants, mais cela laisse un vide de 400 postes, sans compter les départs d'agents découragés, usés par la première vague. Le maintien de l'emploi à l'hôpital public est, sur le long terme, un sujet de préoccupation.
C'est pourquoi le moral des troupes n'est pas bon. Médecins, paramédicaux, nous tous à l'AP, on est inquiets à l'idée d'y retourner. Physiquement et moralement, les soignants sont marqués par le printemps mais aussi par des années de restrictions budgétaires qui ont fragilisé l'édifice. Et c'est d'autant plus dur qu'on ne sait pas combien de temps la crise sanitaire va durer.
Mardi, la CME a adopté une motion à l'unanimité pour dénoncer les attaques personnelles « ordurières, parfois d'une violence extrême, avec des menaces de sévices et de mort » dont font l'objet certains médecins. Pourquoi ces attaques ?
Il s'agit de collègues exposés médiatiquement qui ont reçu des menaces de ce type-là. La parole médicale et scientifique est décrédibilisée par des propos de certains qui ont été trop affirmatifs sur le virus, la pandémie, les traitements, la deuxième vague, etc. Il s'agit de propos polémiques, délétères voire mortifères, certains tenus en direct entre plusieurs confrères qui s'écharpent sur les plateaux télés. Ce sont des situations dans la démesure qui génèrent sur les réseaux sociaux des propos déplacés et inadmissibles à l'encontre de la communauté hospitalière.
Pour moi, c'est une catastrophe, car les médecins ont besoin de la confiance de la population pour que les gestes barrières soient respectés. La confiance devra aussi être là quand il sera temps de vacciner contre le Covid. Le manque de responsabilité de quelques médecins, qui font passer leur ego avant l'intérêt public, peut avoir des conséquences très négatives sur nous tous.
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