Les think tanks sont devenus incontournables dans le domaine de la santé. Quels experts y participent, quelle est leur idéologie et comment essaient-ils de se démarquer ? Surtout, parviennent-ils à peser sur les réformes du système de santé ? Les responsables de quatre cercles de réflexion ont répondu à ces questions lors d’un récent débat au salon Santexpo à Paris. « Notre objectif est d’apporter des idées concrètes, précises et opérationnelles aux acteurs publics, explique Mélanie Heard, responsable du pôle santé de Terra Nova, think tank généraliste social-démocrate fondé en 2008. Nous essayons de faire émerger des idées qui reposent sur des preuves en mobilisant des experts. » Dans un secteur riche en directions centrales, institutions et agences aux missions périmétrées, mais aussi empreint d’un fort corporatisme professionnel, les think tanks en santé revendiquent de nourrir une vision transversale. « L’ultraspécialisation nous refroidit, nous mettons en lien des acteurs qui ne sont pas spécialistes de ces sujets avec des experts : économistes, décideurs, parlementaires... », poursuit Mélanie Heard. Terra Nova publie à la fois des rapports - souvent denses - qui l’engagent, mais aussi des notes au format plus léger, sous la responsabilité de leurs signataires, que peut relayer « La grande conversation », nouveau média du think tank lancé en 2022.
Un imposant brainstorming
Cercle de réflexions généraliste d'obédience libérale fondé en 2000, l’Institut Montaigne s’est doté d’un programme santé en 2017 et pèse aussi sur le débat d’idées en santé. « Nous sommes un lieu de réflexion et d’échanges mais aussi de productions intellectuelles, détaille Laure Millet, responsable du pôle cohésion sociale et territoriale de l’Institut Montaigne. Nos rapports peuvent demander 10 à 12 mois de travail, parfois une centaine d’auditions ou des groupes de travail associés. » Le programme repose sur trois thématiques d’innovation majeures : thérapeutique (accès aux médicaments, souveraineté sanitaire…), numérique (e-santé, intelligence artificielle, données de santé) et organisationnelle avec de récentes propositions sur la démocratie sanitaire, l’enjeu du bien vieillir ou les soins à domicile.
Influencer les politiques publiques n’est pas le seul objectif des think tanks. « Notre proposition a toujours été de considérer que les acteurs du monde de la santé, usagers, professionnels, élus, experts… devaient travailler entre eux avant d’aller voir les pouvoirs publics, affirme Stéphane Le Bouler, président du Laboratoire d’idées Santé Autonomie (Lisa), créé en 2019. Car nous sommes en capacité de produire entre nous autant, sinon plus, que dans les administrations et les antichambres. » Et si la réflexion peut prendre du temps, la réactivité est parfois de mise pour être le premier à exposer ses idées. Lisa a ainsi publié opportunément une note de propositions sur la réforme de la formation des infirmiers juste après l’annonce par François Braun d’une prochaine refonte de leur cursus.
« Les politiques de santé ont-elles encore besoin d’idéologie ? La question est intéressante mais nous ne nous la sommes pas posée quand nous avons créé Les Échos Santé il y a une dizaine d’années », explique son directeur, le Dr Philippe Leduc. Le think tank réunit une fois par mois ses 50 membres (professionnels de santé, étudiants, universitaires mais aussi responsables de laboratoires pharmaceutiques et de mutuelles partenaires …). Les Échos Santé formulent une recommandation chaque année. « Nous proposons un travail d’intelligence collective qui vise à améliorer le système de santé dans l’intérêt général, avec un réel accès aux soins et à la prévention pour tous et une optimisation des dépenses », précise le médecin et journaliste. Après des préconisations sur l’innovation, la pertinence, la gouvernance ou la prévention, la dernière recommandation publiée en mars dernier portait sur « une nouvelle méthode globale pour transformer le système de santé ».
Des cercles qui tournent en rond ?
« Les think tanks ont pris une grande place dans le débat d’idées avec le dessèchement des partis politiques traditionnels mais leur positionnement est devenu mainstream avec un corps de doctrine commun et des positions sans radicalité », observe le Dr Claude Pigement, ex-responsable santé du parti socialiste. Ces observateurs remarquent que le programme santé du second quinquennat d’Emmanuel Macron n’a pas beaucoup varié du premier avec l’objectif de créer plus de maisons de santé, de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou de favoriser les assistants médicaux et l’exercice coordonné. Les think tanks en santé ont-ils toujours l’oreille des décideurs et quel est leur avenir ? « Notre influence est difficile à mesurer, confesse Philippe Leduc. Les pouvoirs publics regardent ce qui est faisable. Notre démarche est donc plutôt de privilégier le compromis plutôt que le grand soir. » La chaire santé de Sciences Po projette de réunir ponctuellement les think tanks en santé dans une plateforme commune. Une opportunité de faire davantage entendre leur voix ?
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