Au lendemain de la censure du gouvernement Barnier, le système de santé est plongé en plein brouillard. Moins de trois mois après sa nomination à Ségur, la ministre Geneviève Darrieussecq pourrait céder son fauteuil à un ou une autre… Encore une fois. Si le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 était loin de faire l’unanimité, l’instabilité politique actuelle inquiète. « On est à nouveau dans un No man’s land, s’agace la Dr Anne Wernet, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs (Snphare). Une dizaine de ministres de la Santé en sept ans, dont sept depuis deux ans. Comment peut-on avoir une vision stratégique de long terme avec ça ? »
Il faut dire que la valse des ministres n’arrange rien à l’avancée des nombreux chantiers en cours dans le cadre de la refonte du système de santé. Si bien que le président de Samu-Urgences de France, le Dr Marc Noizet, n’aura pas eu le temps de rencontrer Geneviève Darrieussecq au ministère alors qu’il planche sur la mise en œuvre du décret du 29 décembre 2023, relatif aux nouvelles modalités d’exercice de la médecine d’urgence pour soulager les hôpitaux à bout de souffle. « Dès sa nomination, j’ai pris rendez-vous avec elle. Nous devions nous voir mi janvier… », soupire-t-il. Résultat, les dossiers urgents s’empilent sur le bureau et celui ou celle qui prendra la suite à Ségur aura bien du mal à les digérer. « On est contraint de remettre les compteurs à zéro et de laisser plusieurs mois au prochain ministre de la Santé pour qu’il prenne connaissance de toutes les problématiques. Sans ministre, on ne peut pas avancer, et c’est encore pire si on en change tous les trois mois », alerte l’urgentiste.
« Le gouvernement tombe, les problèmes restent »
Le Syndicat national des directeurs, cadres, médecins, chirurgiens-dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (Syncass-CFDT) a quant à lui réagi dans un communiqué : « Le gouvernement tombe, les problèmes restent, les fonctionnaires assurent ». Dans ce contexte « inédit de mise à l’arrêt des processus d’adoption du PLF [budget de l’État, NDLR] et du PLFSS », les représentants des directeurs d’établissement garantissent qu’ils sauront faire face aux « obligations de continuité et de sécurité dans l’accueil des patients et des résidents ». Ils réaffirment leur « sang-froid et leur détermination » pour que « ce contexte hors normes n’ait pas de conséquences néfastes sur le terrain ».
« La maison de santé brûle et les députés n’ont que 2027 en tête, c’est grave
Dr Franck Devulder, président de la CSMF
Même inquiétude à la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) pour qui la « motion d’irresponsabilité » votée hier, « pousse à son paroxysme cette opacité et l’incertitude politique et budgétaire au détriment de l’intérêt du pays ». La Fédération alerte sur le fait que « la santé ne saurait se contenter longtemps d’une expédition des affaires courantes ». Évoquant la situation financière « alarmante » des établissements de santé, elle demande que « le flottement soit le plus bref possible ». Car des dossiers structurants « imposent le rétablissement rapide d’un pilotage politique à la hauteur des circonstances ».
Des réformes en panne ?
Derrière le vote de la censure du gouvernement Barnier, c’est la paralysie du système de santé que redoutent plusieurs représentants des médecins libéraux. « La maison de santé brûle et les députés n’ont que 2027 en tête, c’est grave », lance le Dr Franck Devulder. Pour le patron de la CSMF, la non-adoption du PLFSS 2025 met fin à « certaines avancées » nécessaires pour l’accès aux soins. C’est le cas notamment de la suspension des cotisations retraite prévue dans ce texte budgétaire pour inciter les médecins en cumul emploi retraite à poursuivre leur activité. Cette mesure, annoncée par Michel Barnier lors de son discours de politique générale du 1er octobre pour lutter contre les déserts médicaux, a été retenue par le texte de la commission mixte paritaire (CMP). Le gastroentérologue de Reims regrette aussi que soient passées à la trappe des mesures en faveur de la santé mentale (évolution du dispositif Mon Psy, renforcement des filières psychiatriques et des équipes mobiles psychiatrie-précarité), proclamée comme grande cause nationale. « On sait combien la psychiatrie est en grand danger » avertit le syndicaliste.
Un financement de la convention médicale incertain
Mais le point de crispation reste le financement incertain de la convention médicale. Le nouveau contrat, signé en juin dernier avec la Cnam par cinq syndicats représentatifs (CSMF, MG France, SML, FMF et Avenir Spé-Le Bloc) sur six (UFML-S l’ayant rejeté) a en effet prévu une série de hausses tarifaires intervenant dès le 22 décembre, suivi d’une deuxième étape en janvier 2025 puis en juillet 2025 pour les généralistes et plusieurs spécialités cliniques en bas de l’échelle de revenus (pédiatres, psychiatres, gynécologues, dermatologues, gériatres, endocrinologues, neurologues et médecin physique et de réadaptation).
« Certes, le G à 30 euros et l’APC à 60 euros vont entrer en vigueur à partir du 22 décembre. Mais les revalorisations sont progressives et budgétées dans le PLFSS 2025. Sans ce financement, que passera-t-il ? », ajoute le Dr Devulder. Cette analyse est partagée par le patron d’Avenir Spé, le Dr Patrick Gasser. Le gastroentérologue affirme qu’en l’absence de PLFSS 2025 dans les mois qui arrivent, « le vrai risque, pour les médecins libéraux, c’est que le comité d’alerte se met en branle. Cela veut dire que tout est arrêté, revalorisations comprises ». « Beaucoup pensaient que la convention était un garde-fou, mais avec cette épée de Damoclès de la mise en action du comité d’alerte, ce n’est même plus une garantie. Le spectacle politique nous met à genoux », ajoute le praticien. De son côté, MG France s’est montrée moins alarmiste. Sa présidente, la Dr Agnès Giannotti, estime que « cette motion de censure et le contexte qui l’entoure n’ont pas d’incidence sur la mise en place de la convention ». En revanche, « cela ralentit les réformes dont on a besoin pour faire face aux difficultés d’accès aux soins », commente la généraliste parisienne.
Besoin de stabilité
Pour engager les transformations structurelles, la médecine libérale tout comme l’ensemble des acteurs de la ville ont besoin « de stabilité », insistent les Libéraux de santé (LDS). Ce collectif réunissant dix principales organisations représentatives des professions de santé libérales réclame la nomination rapide d’un nouveau gouvernement de coalition. Pour aller vite, cette organisation appelle le prochain exécutif à se concentrer « sur un nombre limité de dossiers, dont une nouvelle loi de santé qui doit porter une vision ambitieuse et moderne de notre système de santé ».
Enfin, dans l’industrie pharmaceutique en revanche, silence radio. Après l’alerte de la Direction de la sécurité sociale (ministère de la Santé) sur un dérapage de 1,2 milliard d’euros de dépenses de médicaments, le Leem, syndicat représentatif des laboratoires, se réserve de tout commentaire quant à la censure du gouvernement Barnier. « C’est encore trop tôt, nous sommes dans l’expectative », confie-t-on au Quotidien. Le groupement préfère attendre l’allocution du président de la République Emmanuel Macron, prévue ce jeudi soir à 20 heures avant de prendre la parole.
Hausse des cotisations retraite : « un impact dramatique pour l’offre publique sanitaire », alerte la FHF
Médecins à diplôme étranger : 20 % des postes ouverts aux EVC non pourvus, colère des Padhue
Padhue urgentiste et réfugié syrien, le Dr Sami Boufa perd son emploi après… 24 ans d’exercice en France
Marie-Noëlle Gerain-Breuzard (CNG) : « À l’hôpital, le taux de vacance des praticiens titulaires s’élève à 34,8 % »