LE QUOTIDIEN : Combien de services sont en difficulté depuis le plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires, en application de la loi Rist ?
Dr THIERRY GODEAU : Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait 70 services en difficulté, comme l’affirme le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers. Je dirais qu’il y a entre 20 à 30 services en très grande difficulté, voire fermés. Il y a aussi, surtout, de nombreux services qui vont fermer ponctuellement durant quelques jours.
Les mois prochains s’annoncent difficiles en raison des ponts et des congés estivaux. Êtes-vous inquiet ?
Beaucoup d’établissements ont fait signer des contrats à des praticiens avant le 3 avril (date de mise en application de la loi Rist, NDLR) pour échapper à la nouvelle réglementation. Mais on ne pourra pas les renouveler de cette manière-là éternellement. Certes, la situation est moins grave qu’on ne le craignait, mais il est possible que les difficultés perdurent et de façon perlée.
Le secteur privé a-t-il joué le jeu dans ce bras de fer ?
Malgré la bonne volonté de la FHP, les structures privées n’ont pas beaucoup d’emprise sur les praticiens qui ne sont pas leurs salariés. Par ailleurs, de manière générale, les collaborations public/privé restent modestes. Nombreuses sont les cliniques qui n’ont pas de plateau technique, pas de service d’urgences. Cela réduit leurs marges de manœuvre pour prêter main-forte au secteur public.
Vous proposez aussi de doubler la rémunération du temps de travail additionnel (TTA) des PH durant une période temporaire. Pourquoi cette mesure n’a-t-elle pas été mise en place ?
Le ministère a sans doute peur que cette mesure devienne pérenne. Il faut pourtant des incitations pour pousser les gens à travailler plus et à combler des trous de garde. Le doublement du TTA avait d’ailleurs fonctionné durant le Covid. Aujourd'hui, la prime de solidarité territoriale (PST) est nettement mieux rémunérée que le temps de travail additionnel. Vous êtes mieux payés à aller travailler dans un autre établissement que pour faire des heures supplémentaire dans le vôtre. C’est assez paradoxal !
Les concertations sur les enjeux d’attractivité ont démarré. Quelles sont vos priorités ?
Je pense que François Braun a la volonté de mettre en place des mesures d’attractivité. Reste à savoir s’il sera suivi par le gouvernement, notamment par Bercy. Je reste convaincu que la réforme de l’intérim doit être accompagnée d‘un plan d’attractivité des carrières hospitalières. Je pense notamment à la reprise des quatre années d’ancienneté perdues par les praticiens nommés avant 2020. Cela reste une cicatrice indélébile pour les soignants, même si cette mesure coûte autour de 600 millions d’euros, selon François Braun.
Quand on travaille à l’hôpital, certes, on sait que l’on va gagner moins d’argent que dans le privé. Mais, l’hôpital public, c’est aussi le travail en équipe, les plateaux techniques, les projets, l’enseignement, la recherche. Et, aujourd’hui, les réformes successives sur le financement de la recherche menacent cette activité en CH.
Enfin, il y a le problème des gardes et des astreintes notamment dans les CH, mais aussi et surtout de la reconnaissance du temps de travail. Les médecins qui font tourner les services le week-end ne récupèrent pas obligatoirement et ne sont pas suffisamment bien rémunérés. Je pense aussi à la reconnaissance de la charge de travail. Comment une équipe doit-elle être dimensionnée pour pouvoir travailler correctement ? Quand les médecins ne sont pas en nombre suffisant, les équipes s'épuisent et certains finissent par quitter l’hôpital.
Êtes-vous favorables à la mise en place de ratios minimum de soignants par patients hospitalisés ?
Je suis favorable à cette mesure car ces ratios sont aujourd’hui trop dépendants de la volonté des établissements qui agissent à leur guise. Mais la mise en place de ces ratios doit être associée à des outils pertinents d’évaluation de la charge de travail.
Emmanuel Macron veut désengorger tous les services d'urgence d’ici à fin 2024. Est-ce possible ?
Je n’en suis pas certain. Pour désengorger les urgences, il faut tout d’abord que les patients puissent être pris en charge en dehors des services d’urgence. Sur ce point, nous comptons beaucoup sur le service d’accès aux soins (SAS). Mais la réorganisation de la médecine de ville en amont des urgences ne réglera pas la problématique de la sortie des patients de l’hôpital.
Le président de la République souhaite la mise en place d’un véritable tandem médico-administratif à la tête des hôpitaux. Est-ce que cela va dans le bon sens ?
Il y a un grand consensus sur la mise en place de ce tandem président de CME/directeur. Mais le PCME doit avoir davantage de moyens, un secrétariat, davantage de collaborateurs pour préparer les dossiers et de responsabilités. Le PCME reste aujourd'hui dans un rôle de super conseiller médical que l’on écoute ou pas, en fonction de la personnalité du directeur. De plus, le directeur et le PCME ne sont pas égaux en termes de niveau d’information ! L’ARS écrit au directeur, mais jamais au président de CME, qui est informé à géométrie variable des décisions ou des dotations budgétaires.
Emmanuel Macron souhaite revoir l'organisation des 35 heures à l’hôpital. Est-ce une bonne idée ?
Je ne vois pas pourquoi on mettrait fin aux 35 heures à l’hôpital, si on n’y met pas fin au niveau national ! Mais il faut peut-être réfléchir à de nouvelles modalités d’organisation du temps de travail. Beaucoup de professionnels sont dans l’attente de la semaine de quatre jours. Il y a aussi la problématique de l’organisation du travail en 12 heures. Nous pouvons inventer de nouvelles organisations pour améliorer les conditions de travail, tout en restant dans les 35 heures.
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